France compétences et la « gestion » des titres RNCP
Il y aurait fort à dire sur le montage des dossiers des titres RNCP, via des officines incitant à leur location voire de « réseaux »1, où le formalisme administratif de la présentation des critères2 se dispute au déclaratif3.
En particulier, il serait souhaitable que les salaires déclarés — correspondants aux emplois des élèves sortants — soient justifiés par la fourniture des bulletins de paie et que le calcul des ECTS se rapportent à des heures effectives de face-à-face et non à des heures de « travail collaboratif », « workshop » et autre « learning by doing » au nom d’un enseignement dit « innovant »4.
Ces dérives ne sont pas nouvelles et France compétences — établissement public de financement, de régulation et de transparence du système de formation professionnelle et d’apprentissage — n’a toujours pas apporté de réponses satisfaisantes sur ces points. Le temps d’instruction consacré aux dossiers à l’aune du métier visé et du handicap (1° et 3° R6113-9 C.T.) ne change rien à l’affaire5. Comparer un dossier administratif relevant du déclaratif, du savoir-faire technique avec les indications portées sur le site internet de l’entreprise certificatrice et de leurs partenaires a pour le moins ses limites tout comme celui des organismes certificateurs ou d’instances de labellisation qui peuvent aussi être des organismes de formation comme les E2C6. L’organisation en « réseaux » de certificateurs avec le louage des titres RNCP à des « partenaires » n’est pas gage de « transparence ».
Quid de la véritable qualité des formations proposées dans tout cela ?
Créée le 1er janvier 2019, par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018, France compétences a pour mission d’assurer le financement, la régulation et l’amélioration du système de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Une loi qui augmente le financement public du secteur privé via la formation en alternance au nom des « compétences » ; en d’autres termes : le saucissonnage de l’enseignement en « modules » au détriment des formations longues et qualifiantes, garantes d’un métier.
La ministre du travail qui a porté cette loi est devenue, en 2022, membre du conseil d’administration du groupe Galileo Global Education après que Martin Hirsch, ancien président de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, en soit devenu le vice-président. Ajoutons que l’ancienne équipe de la ministre a fondé le cabinet Quintet pour monnayer son expertise sur la réforme qu’elle a concocté et ainsi : « Conjuguer business et bien commun ». La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est restée aveugle à ce mélange des genres.
Après la Financiarisation de l’enseignement privé lucratif, notre interrogation actuelle se porte sur la location des titres RNCP qui permet, depuis 2018, à une entité de tirer rétribution de ses certifications auprès de tiers ; « monétiser » en jargon néo-libéral. Cette dérive, pour le moins surprenante, semble avoir été introduite d’une part pour réduire le nombre des certifications correspondants à des métiers (« meilleure lisibilité de l’offre de formation ») et par la même celui des dossiers à instruire, d’autre part pour ouvrir un nouveau marché lucratif à des « réseaux » de « co-certificateurs » et/ou « partenaires habilités » (cf. note 1) voire à des opérateurs historiques comme les 4 grands groupes de l’enseignement et de la formation privés : Galileo, Eduservices, Ionis et Omnes.
Cette « licence » de louage a été accordée obscurément, en 2018, par la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP) — instance dépendante du Ministère du Travail — avant la création de France compétence le 1er janvier 2019. Elle est la conséquence de la libre définition du « process de certification » décrit par le certificateur (voir note 1). Cette tolérance participe du soutien à tout prix du secteur privé comme en témoignent les « 131 certifications professionnelles enregistrées au Répertoire national des certifications professionnelles et arrivant à échéance prolongées durant la période d’urgence sanitaire » (mai 2020 in Rapport d’activités 2021, p. 18) et en 2022 : « au-delà de la maîtrise des délais d’instruction qui reste un enjeu central, une attention particulière sera portée au développement de passerelles ou d’équivalences entre les certifications enregistrées. » (in Rapport d’activités 2021, p. 41).
L’économie des missions de France compétences repose en partie sur la délégation de la certification à des tiers via le label Qualiopi qui « atteste de la qualité des process, mais pas nécessairement la qualité des formations dispensées » (voir Rapport d’activités 2020 p. 38 ; RA 2021 p. 13 col 2, p. 40 et p. 46) et sur la gestion des « datas » (voir RA 2020 p. 14-17, p. 57-59 ; RA 2021 p. 51-52). En l’état actuel, l’obtention du label Qualiopi est le Saint Graal permettant le financement de l’alternance par les OPCO et la condition de base pour présenter un dossier de certification. Tout se passe comme si France compétences, vue l’ampleur du quantitatif, en était réduit à trouver sans cesse de nouveaux artifices pour déléguer à des entités privés la gestion du qualitatif via les organismes de certification autorisés et les instances de labellisation sans oublier « l’autorégulation » des réseaux de certificateurs et/ou co-certificateurs dont certaines entités peuvent être situées à l’étranger et hors CEE.
A qui profitent les titres RNCP « parapluie » et « sur roulettes » ?
Le problème réside bien dans la qualité de l’offre de certification et de sa publicité. Hormis la location de titres à des tiers, nous découvrons de nouveaux montages. Des certificateurs adeptes de la « marque parapluie » ont inventés le « titre RNCP parapluie » en abritant leurs diverses offres de formation — présentées sous formes de « spécialités » ou de « métiers » inscrits à leurs catalogues — sous un même numéro de titre. Croyant avoir acheté un produit spécifique correspondant à un niveau de salaire, les divers clients se retrouvent en fin de cursus avec un même numéro de titre RNCP accompagné d’un diplôme maison, à la dénomination satisfaisante, sans la moindre valeur académique. Il est ainsi « vendu » un niveau de titre accompagné d’un emballage publicitaire. Le sommet semble être atteint avec l’invention du « titre RNCP sur roulettes ». En cas de perte d’une certification, pourquoi la louer à un concurrent quand il suffit de trouver un titre valide et ressemblant dans une autre entité de son groupe d’enseignement et de formation voire dans son « réseau » pour remplacer le titre perdu ? Lors du renouvellement d’un contrat d’alternance, il suffira de changer le numéro RNCP afin de continuer à bénéficier du financement de l’OPCO correspondant. Le procédé est le même que le « titre parapluie » et tout aussi scandaleux. France compétences dans son lien d’information Votre futur diplôme est-il reconnu par l’État ? indique : Un organisme de formation peut dénommer sa formation différemment que le nom de la certification, mais la formation doit être directement en lien avec elle. Une dénomination significativement plus large ou plus restreinte doit vous interroger, tout comme si la formation couvre un autre champ professionnel. N’oubliez pas aussi que c’est la dénomination de la certification qui sera la seule à avoir de la valeur quand vous serez en recherche d’emploi. L’on peut s’étonner que France compétences autorise de fait l’usage d’une dénomination autre que celle de la certification.
Quelle régulation pour France compétences ?
France compétences semble minorer son rôle de régulation qui est pourtant l’une de ses principales missions. La loi encadre précisément l’obligation de contrôle de France compétences. L’article R6113-14-1 du Code du Travail dispose : Les ministères et organismes certificateurs s’assurent que les informations communiquées au public relatives aux certifications professionnelles, aux certifications ou aux habilitations enregistrées dans les répertoires nationaux sont conformes aux informations transmises au directeur général de France compétences pour l’appréciation des critères d’examen fixés aux articles R. 6113-9 et R. 6113-11, que ces informations soient transmises par leurs soins ou par les organismes qu’ils habilitent pour préparer à acquérir, évaluer ou délivrer ces certifications professionnelles, certifications ou habilitations. Tout puissant, le Directeur général de France compétences via l’article R6113-17 C.T. peut, notamment, s’assurer de la condition d’honorabilité ; adresser un rapport d’observations à l’organisme indélicat ; prononcer la suspension ou le retrait des répertoires nationaux de certaines ou de l’ensemble des certifications professionnelles ou certifications ou habilitations délivrées par l’organisme ou le ministère concerné, voire l’assortir d’une interdiction de présenter un nouveau projet de certification professionnelle ou de certification ou habilitation pendant un délai d’un an. Quid de l’ampleur des contrôles et de leurs méthodes ?
En consultant le Rapport d’activité 2021 de France compétences on peut trouver, page 43, sur la politique de contrôle des certificateurs, la mise en demeure de 52 d’entre eux : Elles portaient principalement sur le défaut de déclaration des partenaires ou sur une communication dysfonctionnelle quant à la certification ou aux formations préparant à celle-ci. Une partie de ces problématiques de communication traduisent une mise en œuvre de la certification significativement différente du cadre initialement prévu. On apprécie l’euphémisme « communication dysfonctionnelle ». France compétences ne peut limiter son contrôle du qualitatif à quelques « sondages » numériques, mises en demeure et à l’édition de notes voire d’un FAQ.
Il viendra un temps où les apprenants et les employeurs vérifieront la réalité du métier avancé sur les sites marchands des « écoles » et/ou sur leurs « diplômes » avec le descriptif du titre RNCP ! Les associations de consommateurs vont sans doute s’emparer de cette problématique qui relève, nous semble-t-il, du délit de tromperie (Code de la consommation L441-1) dont la réalisation ou tentative sont punis d’une peine d’emprisonnement de trois ans et d’une amende de 300.000 euros (Code de la consommation L454-1) et plus vraisemblablement, car commis en bande organisée, d’une peine d’emprisonnement de sept ans et d’une amende de 750.000 euros (Code de la consommation L454-3). Elles pourraient aussi s’intéresser aux salaires que font miroiter aux « prospects » les « commerciaux » de ce secteur particulièrement lucratif avec des taux de marge nette à 2 chiffres sans oublier : l’éventuelle non-indication de « l’inactivité » de la certification sur les divers supports publicitaires7 ou un usage abusif du logo laissant accroire que la plupart des formations proposées bénéficient du titre8.
Rappelons que l’article 40 du code de procédure pénale dispose : Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. Placée sous la tutelle du ministère en charge de la formation professionnelle, France compétences, institution nationale publique dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière est, sans nul doute, une autorité constituée (article L6123-5 C.T.) qui doit se conformer aux obligations de l’article 40 et non se contenter d’un simple lien d’information et « notamment » de mises en demeure.
Gageons que la Presse nationale et les organisations de consommateurs vont s’emparer plus avant de cette funeste problématique ou la gestion quantitative de France compétences se fait au détriment du qualitatif. Une gestion qui va de fait à l’encontre de l’enseignement et de la formation, des formateurs et des enseignants, des apprenants9.
Éric JANICOT, secrétaire national.
Notes
- À titre d’exemples voir : Ifocop services, ADMTC, Formités ou le Partenariat d’Eductive group.
Au sujet des « réseaux », voir sur le FAQ de France compétences : Les organismes demandeurs d’un enregistrement dans un des répertoires nationaux peuvent librement s’organiser en réseau de co-certificateurs à condition que chaque membre du réseau réponde à la condition d’honorabilité ou ne soit pas sous le coup d’une interdiction de dépôt. Réf. FAQ
Au sujet de la délégation (louage) et de l’autocontrôle, voir sur le FAQ de France compétences : Possibilité est offerte aux certificateurs de s’appuyer sur un réseau de partenaires habilités qui peuvent préparer à la certification et/ou organiser l’évaluation pour le compte du certificateur. Le jury de délivrance de la certification relève de la seule responsabilité du certificateur ou des co-certificateurs. Le partenaire est tenu de mettre en œuvre la certification conformément aux process décrits par le certificateur.
Afin de s’assurer de la mise en œuvre de manière homogène de la certification auprès de son réseau de partenaires, le certificateur doit formaliser les exigences et déployer des procédures de contrôles des modalités d’organisation des épreuves d’évaluation à destination de ses partenaires, obligation qui constitue un critère d’enregistrement.
Le ou les certificateurs sont responsables du fonctionnement de leur réseau durant toute la durée d’enregistrement puis à l’occasion, le cas échéant, de la procédure de renouvellement de l’enregistrement de la certification. Ils doivent veiller par une politique de contrôle adaptée à l’homogénéité du fonctionnement de leur réseau et au respect des engagements ayant justifié la décision d’enregistrement de leur certification et à la clarté et la transparence de la communication assurée par leur(s) partenaire(s). Réf. FAQ
Voir aussi la note relative à la qualité d’organisme certificateur.
L’Article R6113-9 du code du Travail indique les critères d’examens des demandes d’enregistrement dans le répertoire national des certifications professionnelles.
Voir « l’espace tutoriel » de France Compétences.
La charge de travail d’un étudiant dans l’enseignement supérieur européen est comprise entre 1500 et 1800 heures pour une année universitaire, ce qui signifie qu’un crédit correspond à 25/30h de travail (30 crédits ECTS par semestre, 60 crédits ECTS par année). En France, la conférence des présidents d’université recommande 1650h par année académique et 25/30h par ECTS. Au Royaume Uni, champion de l’application des recettes néo-libérales, un crédit comprend 20h et l’année universitaire peut descendre de 1800 à 1200 heures ! Les « clients » seraient bien inspirés de vérifier le nombre de ces pseudo-ECTS traduits en heures de cours en face à face.
- Le temps d’instruction est en moyenne de 6 mois.
- Voir la liste des organismes certificateurs et des instances de labellisation.
- Au sujet du titre inactif et de la tromperie, voir sur le FAQ de France compétences :
Chaque certification a une durée qui découle d’une décision d’enregistrement du Directeur général de France compétences ou d’un arrêté ministériel dans la limite de 5 ans. Passée sa date d’échéance la certification devient inactive et n’est plus enregistrée au RNCP. Elle reste consultable sur le RNCP pour que ses titulaires puissent toujours faire valoir leur qualification en cas de besoin. Réf. FAQ
Et aussi :
Il n’est pas possible de communiquer à des étudiants, élèves ou stagiaires sur le caractère certifiant de votre formation passé l’échéance de validité de votre certification professionnelle, cela est constitutif d’une pratique commerciale trompeuse. Réf FAQ
- Au sujet du l’usage du logo, voir sur le FAQ de France compétences :
Une certification professionnelle enregistrée au RNCP ou une certification ou habilitation enregistrée au RS n’entraîne pas la certification du bénéficiaire lui-même. Le Bénéficiaire doit donc proscrire tout usage du Logo pouvant laisser à penser qu’il est ou que l’ensemble de son offre est enregistré au RNCP ou RS ou qu’il bénéficie d’une certification qualité, au sens de l’article L. 6316-1 du code du travail, délivrée par une instance reconnue par France compétences.
En d’autres termes, le bénéficiaire doit utiliser le Logo sur des supports (plaquettes, brochures, sites Internet…) institutionnels, promotionnels ou publicitaires en lien direct avec la certification ou habilitation enregistrée au RNCP ou RS, en s’interdisant un usage général et généralisé des Logos sur des supports faisant la promotion d’activités ou de services non éligibles à l’usage des Logos. Au-delà des certifications elles-mêmes, le bénéficiaire peut utiliser le logo pour valoriser ses formations dites certifiantes au sens de l’article L. 6313-7 du code du travail. Réf. FAQ
Et aussi :
Le non-respect des règles d’usage de ces logos et/ou de la Charte graphique, peut également, après mise en demeure préalable par tout moyen auprès du dirigeant de l’organisme ou du directeur de publication du support incriminé, entraîner la notification d’une interdiction temporaire ou définitive d’utilisation des logos ; et ce nonobstant le droit pour France compétences d’engager par ailleurs des poursuites civiles ou pénales. Réf. FAQ
- Quid de la qualité de l’exercice du métier des enseignants et formateurs dans des organismes de formation sans formateurs ? Quid de l’abus de CDDU, du recours massif à la facturation et à l’auto-entreprenariat imposé ? Quid des enseignants dont on met en avant le titre de « Docteur » pour avancer l’excellence de la formation et le montage des dossiers de labellisation et/ou de certification quand les dits enseignants ne sont pas rémunérés en conséquence et ne participent aucunement à la définition du modèle pédagogique ?
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Pour aller plus loin :
Répertoire Spécifique : le cas du code NSF 326 « Informatique »