Enseignement privé lucratif et Financiarisation

Les « Groupes » d’enseignement privé lucratif et Financiarisation

 

 

Préambule

Il nous faut désormais parler d’entreprises lucratives d’enseignement supérieur privé, tant la dimension « enseignement » passe derrière la dimension « financière ». La financiarisation de ce secteur marchand s’observe à travers une frénésie d’investissement et à la constitution d’une bulle financière. Attirés par un niveau de profit très élevé et par l’argent public déversé sur l’enseignement supérieur privé lucratif, les fonds d’investissement se bousculent pour acheter des groupes et des écoles privées. Depuis 6 ans, on assiste à des acquisitions où les prix d’achat atteignent 15 à 25 fois l’EBITDA*. Il y a une véritable course à la taille pour accroître le chiffre d’affaires et les chances de plus-value élevées à l’issue des « Achats à effets de levier » LBO (Leverage by out). Cette course à la taille peut sinon conduire à un oligopole, du moins à un « trop gros pour tomber » (too big to fail). Par ailleurs, la prise de risque est démesurée, les dettes accompagnant ces opérations financières deviennent lourdes. Le remboursement de ces dettes induit des stratégies inquiétantes : gestion serrée des dépenses pédagogiques, recherche exacerbée de productivité, recherche de toujours plus de flexibilité avec des prestataires en honoraires, distanciel, etc. Les effets immédiats en sont : l’augmentation des prix des formations, leur baisse de qualité et les conditions sociales dégradées des enseignants et formateurs (abus de CDDU, imposition du micro-entreprenariat, de la facturation).
La financiarisation a également une facette « immobilière ». Les entreprises d’enseignement privé lucratif acquièrent des immeubles dans le but : soit de les occuper avec les différentes écoles du groupe, qui versent alors des loyers aux sociétés immobilières de ces mêmes groupes, soit de louer des chambres ou des studios à des étudiants. Ces entreprises dites d’enseignement se confondent alors avec des sociétés immobilières. L’acquisition de ces immeubles génère aussi des dettes importantes qu’il faudra, là encore, rembourser via l’efficacité, le pressurage des équipes.
Par ailleurs, hormis la recherche exacerbée de la plus-value à la revente, génératrice de la dégradation des conditions de travail et de casse sociale, nous vous alertons aussi sur le risque que fait peser un groupe mondial comme Galileo Global Education, acheté en 2020 pour 2,3 Mds d’euros, sur le système public en tendant à le supplanter.

* Bénéfice effectué par une société avant la soustraction des intérêts, des impôts, taxes, dotations aux amortissements et provisions sur immobilisation.

La Bande des Quatre

En France, quatre groupes1 se partagent encore le gros du marché de l’enseignement privé supérieur : EDUSERVICES, INSEEC U devenu OMNES Education, IONIS et GALILEO. Le flou domine sur les périmètres de ces « groupes », leur organisation avec l’articulation des filiales et de la holding, le nombre de leurs « clients-étudiants » et les comptes de résultat souvent absents … sans oublier les filiales à l’étranger voire, au nom de « l’optimisation fiscale », le versement de « redevances » à une société domiciliée dans un paradis fiscal. Le modèle économique de ces groupes repose sur une double activité : la gestion de « marques-écoles » et la capitalisation immobilière. Leur rentabilité financière se fonde sur différents procédés pouvant conduire à une bulle financière [voir les « valorisations déraisonnables » d’INSEEC U (2019) et de GALILEO (2020), les premières faillites en Angleterre avec 40% d’étudiants dans l’incapacité de rembourser leurs prêts (114,6 milliards d’euros en 2017) et, outre–atlantique, les 40 millions d’étudiants américains surendettés (20% en défaut de paiement) avec une dette qui s’élève, en 2018, à 1500 milliards de dollars]. Ce phénomène est à l’œuvre en France, avec des « clients » mieux informés sur la réalité des « titres », des coûts, de l’emploi potentiel et de la rémunération espérée nonobstant divers signes avant-coureurs : échecs de « reprises » d’entreprises, difficultés de recrutement et faiblesse des élèves, augmentation des changements d’écoles en cours de cursus, homogénéisation des formations, communication tous azimuts, réformes dites « pédagogique », cannibalisme (formations concurrentes dans une même école ou groupe), etc.

Communication

Tous ces groupes ou « supermarchés de produits de formation », tout en affirmant leur « leadership »2, vantent : l’innovation, le digital et l’international comme gages de « l’employabilité » des « alumni », de leur insertion professionnelle. Le dernier mot-valise à la mode étant « l’interdisciplinarité » garante « d’adaptabilité », « d’employabilité durable » … Autre outil de communication, l’invitation de conférenciers-vedettes généreusement rémunérés pour constituer autant « d’événements de prestige » qui viennent ponctuer l’année. Notons que le domaine de formation de ces groupes relève au 3/4 de l’univers du commerce et de la comptabilité, des écoles d’ingénieurs ou préparant aux « fonctions sociales » ; les écoles d’arts appliqués et l’informatique ne représentant que 10% ! Ces groupes séduisent leurs « prospects » avec de rares « produits phares » ou « têtes de gondole » qui délivrent des diplômes d’État. Une de leur stratégie de vente consiste à avancer l’inscription de leurs formations au Répertoire National des Certifications Professionnelles RNCP tout en entretenant la confusion entre « certification » d’une formation et « équivalence » aux diplômes de l’Université par l’usage d’intitulés faisant référence au Processus de Bologne et aux décrets d’application du LMD (Licence, Master, Doctorat) avec le fameux ECTS (European Credit Transfer System) nécessaire à l’obtention des dits diplômes3 (la « Licence » devient un « Bachelor » à consonance anglo-saxonne, et le « Master » un « Mastère »). Un autre pseudo-diplôme est mis en exergue : le MBA (Master of Business Administration). La mascarade trouve son point d’orgue lors de cérémonies de fin d’études à l’américaine avec remise de « diplômes maisons » et force champagne laissant accroire aux prospects qu’ils en ont eu pour leur argent ! Tout ceci visant à renforcer l’appartenance à une identité de marque, à une pseudo-élite via les BDE et les associations des anciens élèves. À ce procédé de mimétisme rassurant, s’ajoute l’aubaine de la politique de paupérisation de l’Université et les errances de ses systèmes d’inscription (voir le dernier en date « Parcours sup ») sans omettre la réforme de la formation professionnelle avec son nouveau régulateur exclusif : « France compétences »4. Ainsi brossé, le tableau est bien loin de l’affichage d’un enseignement original rivalisant avec les formations du public. Nous sommes dans le cadre du système néo-libéral qui considère l’Éducation comme une marchandise et non comme un savoir humaniste, un acquis social auquel tout citoyen peut prétendre gratuitement.

Organisation et rentabilité financière

L’organisation juridique de ces « groupes » se fonde sur une holding5 contrôlant des sociétés commerciales aux multiples formes juridiques dont certaines sont reliées à des associations loi de 1901. Ces entités gèrent des établissements d’enseignement et des sociétés immobilières tout en percevant des redevances ou management fees (administration, conseils, communication, maintenance informatique, marques, etc.) Ces redevances peuvent être externalisées dans des sociétés ad hoc. L’appel au portage financier6 via des fonds de pension ou de grandes institutions (BPI France adossée à la Caisse des dépôts, Catay Pacifique, 123 Investment managers par exemples) peut également permettre le développement ou l’organisation de nouveaux « groupes » (voir INSEEC U devenu OMNES Education, AD EDUCATION, YNOV, EUREKA, etc.)

Hormis le lobbying auprès du gouvernement, le seul horizon réside dans la réduction des coûts pour augmenter la sacro-sainte rentabilité gage de plus-value. La rentabilité économique et financière repose sur des montages industriels, fiscaux, immobiliers et sur des financements externes.

  1. Ces « groupes » s’efforcent de valoriser leur capital via une politique de développement interne et externe : acquisitions, ouvertures de nouvelles écoles en France et à l’étranger en promouvant leurs marques et en s’efforçant de se forger une identité (les derniers achats de GALILEO en sont révélateurs avec leur concentration sur les écoles d’arts appliqués : Atelier de Sèvres, LISAA, Penninghen, Strate College, etc.) La communication sur les « synergies » entre les diverses écoles d’un « groupe » permet aussi les regroupements immobiliers en prétendus « campus » et de mimer l’Université. Le développement des implantations régionales et internationales est un enjeu d’importance pour ces groupes qui doivent être au plus près de leurs clients.
  2. Ces assemblages hétéroclites jouent sur l’intégration fiscale que permet l’organisation en holding (voir les exonérations fiscales dont bénéficient les associations du « groupe » auxquelles peuvent être facturées au prix fort diverses prestations, régime mère-fille, emprunts déductibles, effets de levier, etc.), sur les montants des management fees et des loyers, les écritures comptables, etc.
  3. Ces groupes font appel aux financements externes via le secteur public [possibilité de bénéficier de « subventions » ou « bourses » de l’État et/ou des collectivités territoriales et locales ; affiliation au régime maladie de la sécurité sociale et aide au logement] et le secteur privé [financement des études via les prêts-étudiants en organisant des partenariats avec les banques commerciales et/ou le choix de la formule de l’alternance (solution privilégiée par EDUSERVICES) ; appels aux fonds socialisés de la formation continue et de l’apprentissage ; récupération de la taxe d’apprentissage].
  4. Une autre pratique, est la réduction de la masse salariale via les licenciements au nom du regroupement des services et de leur « mutualisation » et la limitation du nombre de CDI et CDII pour les enseignants et formateurs (statut autoentrepreneur, portage salarial, recours abusif aux contrats précaires (CDD, CDDU) ; avec ces artifices, certains organismes de formation n’ont plus que des « prestataires extérieurs » désignés comme « professionnels »), voire l’externalisation des salaires élevés des hauts dirigeants sur une autre société ou ceux des directeurs d’entreprise-école sous forme de prestations facturées sur leur société personnelle. Signalons aussi les procédés visant à économiser la présence des enseignants : saturation des salles de cours ; réduction des heures de face à face ; limitation du « présentiel » par le duo « e-learning et pédagogie inversée » (aux élèves de lire les cours en ligne puis d’être réunis autour d’un exercice d’application rebaptisé « travail collaboratif », « workshop », « projet » et autre « learning by doing »…) et aussi, le « travail en autonomie ». Pour les administratifs ou commerciaux, l’utilisation du « contrat de professionnalisation » ou de la « convention de stage », en puisant dans la réserve des alumni tenus par l’obtention de leur « diplôme », est un bon moyen pour obtenir des collaborateurs « corporates » et « flexibles » à faible « coût » [1 064,86 € brut pour les uns, « gratification minimale » (3,75€/h) pour les autres]. Il existe aussi l’appel aux élèves pour participer aux JPO et Salons qui donnent gratuitement de leur personne au prétexte de l’obtention de crédits supplémentaires pour leur ECTS, dans le cadre d’un apprentissage de la « relation commerciale ». D’autres peuvent bénéficier d’un « défraiement »…

Autant d’artifices pour présenter aux futurs acquéreurs ou aux institutions financières une belle rentabilité.

Tout se passe comme si ces assemblages d’entreprises, regroupements immobiliers et autres « marques » s’efforçaient d’exploiter des niches de formations spécialisées ou délaissées par l’éducation nationale en délivrant des « certifications » supposées garantes d’un emploi afin de constituer une marque-parapluie7, un « objet de spéculation financière » hautement valorisable à la revente. La logique financière de ce modèle économique conduit à une concentration capitalistique exponentielle… Un groupe étant apprécié à son capital immobilier et à son taux de capitalisation8, à son portefeuille de « marques » en « déclinaison commerciale », à ses accréditations (diplômes d’État et titres certifiés) et/ou labels qualités (ISO Organisation Internationale de Normalisation, OPQF Office Professionnel de Qualification des organismes de Formation), à l’effet « taille critique » avec le nombre de ses « clients-étudiants » et sa « capacité de massification » (problème de la gestion de l’immobilier), et enfin son développement national et international potentiel : le plan sur la comète !

Prospective

Concurrence oblige, les « Groupes » ne cessent de se copier en offrant des produits similaires aux « prospects » avec un même discours lénifiant. Le « tout-communication » atteint ses limites tandis que la fameuse « transformation digitale » de l’enseignement, entendre le « e-learning » et ses déclinaisons, supposée garante de nouveaux marchés et clients relève de la quête du Graal. Une politique menée tambour battant par Galiléo et ses formations 100 % en numérique de sa filiale Studi (2018) et par AD Education avec le rachat, d’Oktogone (2022) spécialiste de la formation à distance, pour 200 M€ soit 20 fois l’EBITDA. De nouveaux concurrents tentent l’aventure du tout numérique jusqu’à réduire l’existence physique de l’entreprise à une boîte aux lettres comme O’clock.

Aujourd’hui, le seul moyen de se singulariser est de viser l’excellence des formations via les labels qualités et les diplômes d’État tout en faisant vivre l’ancienne formule du partenariat9. Afin de respecter les exigences académiques (qualification du personnel et programmes) des ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (diplômes), de France compétences (certifications) ainsi que les réquisits des labels qualités nationaux (Qualiopi) et internationaux spécifiques (EQUIS, EPAS, AACSB), cette nouvelle donne à un coût qui doit réduire de prime abord la rentabilité des entreprise-écoles. Gageons aussi que les « clients » mieux informés (parents et élèves) hésiteront à « investir », à s’endetter pour acheter des formations dites « professionnalisante » — hors diplômes d’État — qui ne garantissent pas un emploi avec le niveau de salaire adéquat. Quelle folle raison pousserait des familles à prendre un crédit afin d’acquérir un « produit » qui n’est pas à la hauteur de « l’investissement » !? Pour reprendre la terminologie des jeux vidéo, les « pay to win » se retrouvent entre « pay to less » et « pay to loose ». L’espoir des groupes réside dans la poursuite du travail de paupérisation de l’Université avec la réduction des capacités d’accueil en Master10, un accès facilité aux certifications (désormais délivrées par France compétences), et une poursuite accrue des aides de l’État et des collectivités territoriales ou locales qui contribueront ainsi au gonflement de la bulle spéculative …

Addenda

(Octobre 2020) : la crise covid 19, symptôme de la crise de l’ultralibéralisme, accélère les processus de regroupement de marques inter (sous une même appellation) et extra groupes (ex : Ionis reprenant Supinfo en liquidation judiciaire ;  Galileo intégrant dans son réseau Regent’s University London), de concentration géographique immobilière et de « digitalisation », numérisation de l’enseignement en directe et en différé avec le mixte « présentiel »/« distanciel » dans la jargon marketing « bi-modal » ou « comodal ». L’opportunité du « Bac Covid » soutenu par l’ouverture à la promotion d’établissements privés de Parcoursup est venu sauver et renforcer le secteur privé lucratif engagé dans la promotion des formations courtes (type « Bachelor » en 3 ans). Les groupes développent aussi une politique de passerelles entre formation initiale et formation continue avec l’organisation des enseignements en « modules » pour récupérer la manne de la formation professionnelle. La « modularisation de l’enseignement » reliée au « distanciel » forme le nouveau couple infernal, destructeur d’un véritable enseignement et des métiers.

(Mai 2021) : Une autre stratégie est de rejoindre une COMUE, communautés d’universités et établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel. Citons en guise d’exemple le cas de « Paris school of business » du groupe international GALILEO qui a rejoint « Hesam Université ». Le statut de COMUE a été créé par la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche du 22 juillet 2013. Ces vastes regroupements à la mode contribuent à institutionnaliser la porosité Public/Privé chère à nos dirigeants convertis à la doxa ultra-libérale qui ont en ligne de mire le sacro-saint « classement de Shanghai » et aux investisseurs du privé soucieux d’obtenir la reconnaissance universitaire au niveau doctoral. L’hybridation Public/privé est en œuvre avec le financement doctoral et ses formules du « doctorat industriel européen » ou des « conventions industrielles de formation par la recherche » CIFRE.

(Juin 2021-Décembre 2022) : La pandémie exacerbe la concurrence entre les divers opérateurs par la guerre de la communication numérique (achats des noms de domaine pour apparaître en haut de liste) ; l’offre de formation (présentation au catalogue de divers « métiers » ou « spécialités » qui en fait se retrouvent sous un même titre certifié RNCP ; après la « marque parapluie » voici venir « le titre parapluie ») ; guerre des prix ; politique immobilière des « campus » avec location de chambres et formations à prix réduits (la formation est utilisée comme produit d’appel pour remplir le « parc locatif » ; les fonds de pension développent leur stratégie immobilière entre EPHAD et « Campus »). En cas de non renouvellement des titres RNCP, il reste encore la « location » de titres à des concurrents ou mieux encore le « titre sur roulettes » ou comment un titre perdu est remplacé par celui, approchant, d’une autre entité du Groupe. Il suffit de changer le n° de titre sur les contrats d’alternance et « d’offrir » aux clients un diplôme maison sans valeur académique, le tour est joué. Il viendra un temps où les apprenants et les employeurs vérifieront la réalité du métier avancé sur les sites marchands des « écoles » et/ou sur les « diplômes » avec le descriptif du titre RNCP ! Les associations de consommateurs vont sans doute s’emparer de cette problématique qui peut relever du délit de tromperie (Code de la consommation L441-1) dont la réalisation ou tentative sont punis d’une peine d’emprisonnement de trois ans et d’une amende de 300.000 euros (Code de la consommation L454-1) et plus vraisemblablement, car commis en bande organisée, d’une peine d’emprisonnement de sept ans et d’une amende de 750.000 euros (Code de la consommation L454-3). Notons que la location de titre a été autorisé de façon obscure par la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP), nous ne retrouvons ni la décision ni sa nature juridique. En consultant le « Rapport d’activité 2021 de France Compétences » on peut trouver, page 43, sur la politique de contrôle des certificateurs, la mise en demeure de 52 d’entre eux : Elles portaient principalement sur le défaut de déclaration des partenaires ou sur une communication dysfonctionnelle quant à la certification ou aux formations préparant à celle-ci. Une partie de ces problématiques de communication traduisent une mise en œuvre de la certification significativement différente du cadre initialement prévu. On apprécie l’euphémisme « communication dysfonctionnelle » pour tromperie! Rappelons que l’article 40 du code de procédure pénale dispose : Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. Placée sous la tutelle du ministère en charge de la formation professionnelle, France compétences, institution nationale publique est dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière. C’est bien une autorité constitué.

Hormis la course à la certification Qualiopi, à la manne de la formation, la dernière mode de la « valorisation » consiste à promouvoir une « marque groupe ».  Il s’agit à la fois de pallier la perte de notoriété des diverses entreprises-écoles et de donner belle figure au « package » destiné à la revente sur le Monopoly des fonds de pension pour les nouveaux entrants ou au Bingo des fonds souverains pour les anciens survalorisés. La revente entre fonds est encore un moyen de soutenir artificiellement le cours d’une valeur à l’exemple du marché immobilier entre assureurs. Pour illustrer le phénomène de repositionnement de marque, il suffit de se rendre sur le site d’OMNES et d’apprécier l’action de son « logo omnivore » ou de lire la conclusion de l’article promotionnel du Président du groupe Ionis dans Entreprendre (10/10/2021) : « Nous continuerons d’avoir des marques présentes telles que l’EPITA, l’ISG … mais l’idée est que cela soit, aussi, l’institution IONIS avec sa constellation de marques qui fasse sens. »
Bien sûr, les marques-écoles existeront toujours. La « redevance de marque » reste l’outil idéal pour ponctionner le bénéfice des diverses entités au profit d’une holding ou d’une société externe à un « groupe ».

Si le navire de l’enseignement et de la formation privés lucratif prend l’eau, le lobbying fera son office. En témoignent les pantouflages obscènes chez Galileo de l’ancien président de l’AP-HP en vice-président et de l’ancienne ministre du Travail, en membre du conseil d’administration malgré l’évident conflit d’intérêt avec sa Loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel. Une loi qui augmente le financement public du secteur privé via les formations en alternance au nom des « compétences ». Autrement dit : le saucissonnage de l’enseignement en « modules » et la fin des formations longues et qualifiantes.

Éric JANICOT, Secrétaire national.

________

N.B. : La présente contribution, hormis la pratique sociale, a comme principale source la riche étude d’Aurélien CASTA : L’enseignement supérieur à but lucratif en France à l’aune des porosités public/privé : un état des lieux in « Formation-Emploi n°132 », p. 71-90, 30 décembre 2015. Le texte intégral se trouve ici. Pour nourrir la réflexion, visionner les documentaires suivants mis à disposition ci-après :

  • Jean-Robert VIALLET, Étudiants, l’avenir à crédit, coproduction Arte/CFRT, 2016.
  • Laurent CIBIEN, Pascal CARCANADE et Marie SEMELIN, La bulle financière de 1000 milliards des prêts étudiants, Arte GEIE/ Vol de Nuit, 2012.
  • Henry et Kevin TRAN, Les écoles de commerce, ou la maîtrise du vent, « Le rire jaune », 2018.
  • Charlotte LASALLE et Lise THOMAS-RICHARD, Dans la jungle des écoles de commerce, Envoyé spécial, France 2, 2013.
  1. Groupe : entité économique formée par un ensemble de sociétés qui sont soit des sociétés contrôlées par une même société, soit cette société de contrôle. L’INSEE retient la majorité absolue des droits de vote pour définir le contour d’un groupe. À distinguer le contour restreint (l’ensemble des sociétés détenues directement ou indirectement à plus de 50 % par une société mère, tête de groupe) du contour élargit (l’ensemble des sociétés dont le groupe détient des participations). Bref, un groupe est formé par l’ensemble de la holding et de ses filiales.
  2. Sur les sites de ces groupes on peut découvrir : EDUSERVICES « Un leader Français de l’éducation supérieure privée. » OMNES « Leader de l’enseignement supérieur privé », la qualification de Français a disparu avec le rhabillage de marque (exit INSEEC U) GALILEO « Leader européen de l’enseignement privé. » IONIS « Première institution de l’enseignement supérieur privé de France. »
  3. Les « clients » seraient avisés, de vérifier le nombre de ces pseudo-ECTS traduits en heures de cours en face à face qui devraient au moins comprendre 700h … Rappel : la charge de travail d’un étudiant dans l’enseignement supérieur européen est comprise entre 1500 et 1800 heures pour une année universitaire, ce qui signifie qu’un crédit correspond à 25/30h de travail (30 crédits ECTS par semestre, 60 crédits ECTS par année). En France, la conférence des présidents d’université recommande 1650h par année académique et 25/30h par ECTS. Au Royaume Uni, champion de l’application des recettes néo-libérales, un crédit comprend 20h et l’année universitaire peut descendre de 1800 à 1200 heures! Payer plus pour avoir moins …
  4. Sur le site officiel on peut lire : France compétences est la seule instance de gouvernance nationale de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Elle est créée sous la forme d’un établissement public à caractère administratif doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, placé sous tutelle du ministère en charge de la Formation professionnelle. Ses orientations stratégiques sont déterminées par une gouvernance quadripartite composée de l’État, des Régions, des organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatifs au niveau national et interprofessionnel, et de personnalités qualifiées. Et aussi : France compétences s’attache à établir et garantir la pertinence des certifications et leur adéquation avec les besoins de l’économie. Elle effectue un travail d’enregistrement, de mise à jour et de lisibilité des certifications inscrites au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et au Répertoire spécifique des certifications et des habilitations (RSCH). Dans cette institution hors-sol – le ministère a externalisé au nom de sa « tutelle » – les syndicats de salariés sont minoritaires. Précisons que l’actuel Président est l’ancien « DRH groupe » de l’Oréal ; la majorité des voix est assurée par celles du gouvernement [collège d’État (45) + collège des personnalités qualifiées (10) hormis le collège des organisations professionnelles d’employeurs (20) et celui des conseils généraux (15) …]. Sur 110 voix au total, il reste 20 voix pour les organisations syndicales des salariés.
  5. Holding : la société holding permet le regroupement de sociétés, la gestion centralisée des filiales, l’intégration fiscale, l’obtention d’effets de levier et d’assurer divers montages financiers via les échanges d’actions et/ou le portage financier.
  6. Portage financier : assuré par des organismes financiers, il permet un achat d’actions d’entreprises avec contrat de revente ultérieur assurant ainsi un financement-relais propice à la constitution et/ou au développement d’un groupe, à sa valorisation. Le principe consiste à acquérir une entreprise via une holding sans utiliser ses fonds propres. C’est la fameuse LBO (Leveraged buy out) : une holding s’associe à des banques et fonds d’investissement pour contracter un emprunt via la souscription d’obligations. La société ainsi acquise est soit introduite en Bourse pour dégager une plus-value ou payée avec les dividendes … Émanation de la Caisse des dépôts et consignations Bpifrance risque fort de devenir un nouveau Crédit Lyonnais en participant à la constitution de la bulle financière (voir rapport de la Cour des comptes du 30 mars 2023.
  7. Marque-parapluie : nom de marque sous lequel est commercialisé un ensemble hétérogène de produits sous forme de « collections » (voir les regroupements des « écoles » sur les sites internet des « marques-parapluie »).
  8. Taux de capitalisation immobilier : rapport entre les revenus de la location et la valeur vénale du bien.
  9. Les partenariats sont plutôt montés avec des écoles du même groupe, au nom de la « synergie » et/ou de « l’interdisciplinarité », qu’avec des institutions extra-groupe ou étrangères (souvent limités à des échanges d’élèves ou à des « projets »). Relevant du bricolage et de la communication, cette formule d’affichage s’épuise.
  10. À propos de la réduction des capacités d’accueil au Master depuis la réforme de 2017, nombre d’étudiants se tournent vers l’Université Belge (Fédération Wallonie-Bruxelles) afin de poursuivre leur cursus. Ce phénomène inquiète à juste titre nos voisins qui se retrouvent, par exemple, avec un effectif de 20% d’étudiants hexagonaux en psychologie (jusqu’à 30% dans certains cours à Bruxelles et à Liège) sans augmentation de moyens budgétaire conduisant mécaniquement à une dégradation des conditions d’accueil et d’enseignement. Le site de l’Académie de Recherche et d’Enseignement Supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles ARES indique qu’un étudiant étranger sur deux est Français!

Les vidéos

Étudiants, l’avenir à crédit (2016)

https://www.youtube.com/watch?v=VN2QOnp3aXk

La bulle financière de 1000 milliards des prêts étudiants (2012)

Les écoles de commerce, ou la maîtrise du vent (2018)

Pour aller plus loin

  1. Voir Assemblée nationale : audition du SNPEFP-CGT
  2. Voir Congrès du SNPEFP CGT : La bataille des idées !
  3. Voir Le mouvement social et la révolution néo-libérale : Perspectives syndicales
Imprimer cet article Télécharger cet article