42 : l’usine à programmeurs

Un conditionnement de type sectaire au service du néolibéralisme ?

 

L’usine 42 de Xavier Niel a été constituée, en 2013, avec la récupération du staff d’EPITECH (école de programmeurs) appartenant au groupe IONIS dirigé par son propriétaire Marc Sellam. C’est ce « transfert de compétences » qui a permis à Niel, qui aime à se comparer à un pirate, de ne pas avoir à traiter avec son homologue. Pourquoi acheter ou payer des prestations quand il suffit de s’approprier les savoir-faire ? Entre capitalistes, c’est l’amour fou. Cette consanguinité nous permet de mettre dans le même bain les deux « entités » avec un 422.

EPITECH, est la conception d’un personnage controversé — on le serait à moins — Nicolas Sadirac. Issu d’EPITA, l’école d’ingénieur du groupe Ionis, il eut l’idée de proposer à son président la création d’une école de programmeurs fondée sur des exercices d’application et non sur les bases scientifiques (mathématique, physique, électronique et informatique) afin de capter une nouvelle clientèle férue de jeux vidéo, de geeks voulant passer de l’autre côté du miroir sans en avoir les compétences scientifiques.
Sadirac est l’inventeur de l’emblématique « Piscine » où les élèves sont en immersion pendant plusieurs jours pour répondre à divers exercices. Ce rite initiatique et ses déclinaisons permettent :

    1. de se passer des enseignants et des formateurs dûment rémunérés (il suffit de faire appel à des correcteurs parmi les élèves des années supérieures baptisés « accompagnateur pédagogique », « assistant technologique » et autre « peer to peer », etc.) Ce système a évidemment un faible coût : des ordinateurs sur Linux capables de lancer un compilateur et des Emacs. En France l’ubérisation des enseignants et des formateurs — dénommés par les employeurs « collaborateurs » ou « intervenants » mais surtout pas « salariés » disposant d’un CDI —  est l’idéal affiché des 4 grands groupes de l’éducation privée qui espèrent disposer d’une main d’œuvre payée à la pièce. (Voir : Enseignement privé lucratif et financiarisation)
    2. d’empêcher la réflexion sur la discipline, ses fondements scientifiques et sur le métier par un enfermement communautaire — soutenu par un lieu ouvert 24h sur 24 — fondé sur des habitus, un argot et une pseudo-culture.
    3. de conditionner les « apprenants » à ne plus compter leur temps autour de « projets », « challenges », « semaines » et autre « learning by doing » via la « gamification » qui ont pour objet d’assurer la confusion entre le temps passer par les geeks devant les jeux vidéo et celui dédié à l’apprentissage et au travail … d’en faire des salariés « passionnés » et dociles ignorant le « code  du travail » et de fait sous rémunérés … une entreprise de dressage de « développeurs » condamnés à programmer tête baissée comme le bœuf traçant son sillon jusqu’à l’équarrissage. Des « no life » attachés à leur joug numérique en pissant du code.
    4. d’assurer l’atomisation de la personne, sa dissolution dans la vague ultra-libérale. Et cela, avec toute la logomachie des écoles de commerce aux noms de la « transformation digitale », de « l’employabilité » et de « l’international ». Ainsi, le futur « collaborateur » doit être « agile », « souple », « solidaire », « innovant », « disruptif » et, reliant — de façon toute aussi abusive que fallacieuse — informatique (système d’exploitation) et humanisme avec le terme « Ubuntu » !
    5. de produire une masse de programmeurs, sans cesse renouvelable, pour assurer le développement de la startup nation chère à l’actuel président de la République.

Cette économie de la formation renvoie à des pratiques sectaires : la référence à un Livre — la saga du Guide du voyageur galactique — et à son mythique nombre 42, un guru fondateur, exister par et pour le groupe, l’enfermement communautaire, le contrôle de tous par tous (à 42 le système vidéo filmait en permanence salles de cours et lieux de vie avec accessibilité des images en temps réel aux étudiants sur le réseau intranet ; chaîne de discussion Slack intitulée Not safe for work « Pas sûr pour le travail » relevant de la boîte à délation crapoteuse, reprise de la section « délation » du forum interne d’EPITECH (ce défouloir permet de limiter la libre parole en interne ; il autorise de fait tous les débordements), la vêture (l’omniprésent T-shirt noir et son logo), l’atomisation de la personne, la perte de la temporalité et de la vie sociale, l’humiliation publique lors des soutenances via le dénigrement du travail accompli. Ce cocktail pouvant conduire au burnout, à la dépréciation de soi voire au suicide (par pendaison avec un câble informatique dans une salle réseau d’EPITECH à côté du « Bocal » qui assure la maintenance informatique.)

En 2018, « l’inventeur » Nicolas Sadirac a dû démissionner de 42 avec l’aide d’un conseiller de l’Élysée suite à des affaires de sexisme, de surveillance et de manipulation financière (Voir ci-dessous les articles en référence et le lien sur le mémoire de Master 2 de Clémentine Pirot-Bettencourt). En 2019, toujours en quête de développement de son « système d’exploitation », il fonde la plateforme 01 Edu System destinée au marché mondial. Dans la logique de « l’efficacité libérale », la réduction du temps de formation s’accélère : 5 ans pour Epitech, 3 ans pour 42 et maintenant 2 ans pour 01 ! 5 ans laissent accroire aux prospects qu’ils sont dans une Grande École (suffixe du « programme » à EPITECH) afin de justifier une longue « scolarité » — de fait en auto-formation — fort onéreuse ; 3 ans pour dresser « gratuitement » les futurs employés de la société de Niel et de la start-up nation (le « pirate » espère aussi se rembourser via son incubateur Station F) ; 2 ans en produit d’appel sur la plateforme de Sadirac pour mieux vendre ses franchises et espérer devenir, à son tour, une grande fortune française voire mondiale … Ainsi est formatée la « digital workforce ».

Exploitation, Surveillance et Sexisme sont les trois piliers du système.  Rappelons que Xavier Niel — jadis promoteur du minitel rose et propriétaire de peep-shows — fut l’entraîneur d’un certain Macron, champion de la start-up nation (voir La start-up nation en berne) et destructeur de l’Université. (Voir L’enseignement supérieur offert sur un plateau aux appétits du privé)

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Références

Clémentine Pirot-Bettencourt, Formation en informatique ; ouverture sociale et sexisme. Le cas Epitech, mémoire de Master 2, Université Paris VII- Diderot UFR Sciences Sociales- CEDREF, 2012-13.

Marion Garreau, Porno, blagues et dragues lourdes… pas facile d’être une femme à l’école 42, décembre 2017.

Laurent Mauduit, À l’« École 42 » de Xavier Niel : sexe, harcèlement, arnaques et comptes offshore, avril 2019.

 

 

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