L’apport du SNPEFP à la réflexion sur un Projet de Proposition de Loi sur l’enseignement privé lucratif

Les thèmes de réflexion

 

Entretien en date du jeudi 30 janvier 2025 avec M. le Député Emmanuel GRÉGOIRE où notre syndicat a pu apporter ses réponses aux thèmes de réflexion proposés. Un lien renvoyant à l’intégralité du texte de la proposition de loi « visant à un meilleur encadrement de l’enseignement supérieur privé à but lucratif pour mieux protéger les étudiants » se trouve en fin d’article.

 

Rappel des fondamentaux de l’accès à la formation professionnelle et à l’enseignement supérieur public, gratuit et laïque.

Un droit constitutionnel

Article 13 du Préambule de la Constitution de 1946 : La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État.

Le Baccalauréat ouvre de droit l’accès au premier cycle de l’enseignement supérieur

Art. D334-1 Code de l’éducation : L’enseignement général du second degré est sanctionné par le diplôme national du baccalauréat général, premier grade de l’enseignement supérieur.

À mettre en perspective avec les 26,1% des inscrits du supérieur dans le secteur privé.

Voir notre dossier de fond :

https://efp-cgt.reference-syndicale.fr/2025/01/superieur-prive-et-financiarisation-2024-2/

 

La loi LCAP 2018 et la question de l’essor de l’apprentissage.

La politique actuelle de l’État contribue à financer le secteur privé, les sociétés de capital-investissement, au détriment du secteur public. Le poids des apprentis est de 38,8% dans l’enseignement supérieur privé. La crise du Covid, avec l’absence de réels contrôles et la reconduction automatique des titres, a été une formidable opportunité de croissance.

Ce soutien financier de l’État aux entreprises lucratives d’enseignement supérieur privé au détriment de l’enseignement supérieur public, frappé par les coupes budgétaires à répétition, est amplifié par l’ouverture de Parcoursup aux formations du privé lucratif.

Notons que le développement de l’apprentissage a surtout bénéficié aux étudiants de l’enseignement supérieur et non au public défavorisé. Voir la note de la Cour des comptes Recentrer le soutien public à la formation professionnelle et à l’apprentissage.

Précisons que le déficit cumulé de France Compétences, depuis sa création en 2019, est inversement proportionnel à l’augmentation du chiffre d’affaire des groupes privés ! Telles sont les conséquences d’une politique de l’offre sans fixation de limite globale aux dépenses attachées au développement de l’alternance et du Compte Personnel de Formation.

Rappelons que cette politique de faveur accordée par la Loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a permis à l’ancienne ministre du travail, Muriel Pénicaud, d’entrer au Conseil d’administration de Galileo Global Education, leader mondial du secteur, présidé par Martin Hirsch jusqu’à son retour au Conseil d’État ex APHP sans oublier Guillaume Pepy ex SNCF. Quant aux anciens membres du cabinet de la ministre, ils ont fondé le cabinet Quintet pour « monétiser » leur expertise et ainsi : « Conjuguer business et bien commun ».

 

La vitrine que représente Parcoursup pour ce type d’établissement ?

  1. Parcoursup permet au privé lucratif de toucher une masse considérable de « prospects », avec le ciblage des classes populaires peu averties, en jouant sur les angoisses des parents et des jeunes tout en développant un marketing agressif avec le dénigrement de l’enseignement public et en faisant miroiter une formation gratuite voire rémunérée par l’alternance avec à terme une ascension sociale.

Au titre de l’alternance, lorsque le jeune n’a pas trouvé de maître d’apprentissage, il bascule automatiquement dans les dispositifs de formation initiale et se voit réclamer l’ensemble des frais d’inscription, puisqu’on lui fait signer un contrat en ce sens dès son inscription.

  1. Parcoursup est un puissant levier de développement économique que les groupes du privé lucratif veulent pérenniser et renforcer au détriment du service public.

C’est tout l’objet  du lobbying de l’Association des entreprises éducatives pour l’emploi « 3E » — regroupant Galileo Global Education, Omnes Éducation, Talis Business School, Eureka Éducation, Collège de Paris, Réseau GES, MediaSchool, Compétences et Développement, Eduservices, ISPS, Ynov Campus, Groupe IGS — et sa « Conférence des Établissements d’Enseignement Supérieur à vocation Professionnelle et de l’Alternance » (CEESPA), qui a pour objet d’inscrire, a minima, l’intégralité des catalogues des formations de ses affiliés du privé lucratif sur Parcoursup sous la bannière d’une « Charte de déontologie » à la vertu autorégulatrice et un « référentiel qualité » fondé sur Qualiopi et un espéré Label qualité du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche MESR. Cela leur permettrait aussi de capter partie des bourses étudiantes réservées jusqu’alors aux étudiants du public. Le propos étant à terme d’obtenir que le label soit dévolu à l’établissement voire au groupe lui-même pour une longue durée en « contractualisant avec le MESR ». En fait, ce « label qualité » sera le cheval de Troie destiné à faire glisser les titres RNCP du ministère du travail vers les diplômes universitaires du MESR afin de supplanter à terme l’Université publique. L’animateur de 3E n’hésite pas à déclarer : « Il est essentiel de représenter les 250 000 apprenants de ces établissements pour ne pas les laisser en dehors du MESR simplement parce que nos établissements ne s’appuient pas sur la recherche et sont à but rentable. » (sic)

Précisons que les groupes privés lucratifs tentent de se faire passer pour des universités en communiquant sur la marque groupe, en se constituant en « campus » par une politique de regroupement immobilier, en ayant une action de lobbying pour l’établissement d’un « label MESR » et en réalisant des « partenariats » leur permettant de contrôler des écoles sous statut associatif détentrices de l’accréditation CTI (écoles d’ingénieur) et autres ESPIG, bénéficiant de rapports « évaluation et qualité Hcéres » voire de visas du MESR et/ou appartenant à la conférence des grandes écoles avec ses « labels » (Mastère Spécialisé, MSc – Master of Science, BADGE ou CQC). Nombre d’entités relevant de la Conférence des grandes écoles (CGE) appartiennent déjà en propre aux grands groupes du secteur. 

 

La marque Qualiopi et les titres RNCP ?

Qualiopi est le sésame qui permet d’avoir accès aux financements des fonds publics ou mutualisés, c’est la condition de base pour candidater à un titre RNCP. Ce label onéreux avec son processus laborieux profite aux officines de conseils et aux certificateurs bénéficiant d’une clientèle captive. C’est un formalisme administratif qui ne repose aucunement sur la qualité pédagogique réelle des formations mais sur les réquisits de la Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel avec la formation en alternance au nom de l’acquisition de « compétences ». En d’autres termes, le saucissonnage de l’enseignement en « modules » au détriment des formations longues et qualifiantes, garantes d’un métier.

Il y aurait fort à dire sur le montage des dossiers des titres RNCP, via des officines incitant à leur location voire à la constitution de « réseaux », où le formalisme administratif de la présentation des critères se dispute au déclaratif. L’organisation en « réseaux » de certificateurs avec le louage des titres RNCP à des « partenaires » n’est pas gage de « transparence ».
En particulier, il serait souhaitable que les salaires déclarés — correspondants aux emplois des élèves sortants — soient justifiés par la fourniture des bulletins de paie et que le calcul des ECTS se rapportent à des heures effectives de face-à-face et non à des heures de « travail collaboratif », « workshop », « travail en autonomie » et autre « learning by doing » au nom d’un enseignement dit « innovant ».

  • Nous recommandons la fin de ce système fondé sur la délégation du label Qualiopi et du titre RNCP à des certificateurs privés.
  • Nous recommandons sinon la suppression du moins la réforme complète de ce label et de ce titre qui doit être fondée sur la transmission des métiers et la qualité des enseignements.

Voir https://efp-cgt.reference-syndicale.fr/2023/01/titres-rncp-de-la-tromperie/

 

La question des contrôles par les différents organismes ?

  1. France compétences semble dépasser par ses missions et se contenter de gérer des datas.

Cet établissement public délègue partie de ses missions à des certificateurs « marque label Qualiopi » et « titres RNCP » avec le louage des titres et leur mise en réseau. Ceci conduisant à des rentes de situation en favorisant les plus gros. Cette constitution en oligopole se retrouve avec les certifications inscrites au Répertoire spécifique. Tout se passe comme si France compétences, vue l’ampleur du quantitatif, en était réduit à trouver sans cesse de nouveaux artifices pour déléguer à des entités privés la gestion du qualitatif via les organismes de certification autorisés et les instances de labellisation sans oublier « l’autorégulation » des réseaux de certificateurs et/ou co-certificateurs dont certaines entités peuvent être situées à l’étranger et hors CEE. Les certifications professionnelles dispensées en CFA échappent de plus en plus à la surveillance du financement de l’État.

Une autorité constituée qui ne donne pas avis au procureur de la République des délits commis (« tromperie », « tromperie en bande organisée »). Rappelons que l’article 40 du code de procédure pénale dispose : Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. Placée sous la tutelle du ministère en charge de la formation professionnelle, France compétences, institution nationale publique dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière est, sans nul doute, une autorité constituée (article L6123-5 C.T.) qui doit se conformer aux obligations de l’article 40 et non se contenter d’un simple lien d’information et « notamment » de mises en demeure.

 À noter une augmentation de 200% des droits à communication des autres corps de contrôle de l’État en 2023 à France compétences.

France compétences délègue ses missions au service des intérêts privés et faillit dans une large mesure à sa mission de contrôle.

Voir https://efp-cgt.reference-syndicale.fr/2024/11/france-competences-le-rapport-2023/

  1. Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur

Nous nous étonnons de l’utilisation du Hcéres, autorité publique indépendante, pour rendre des rapports « évaluation et qualité Hcéres » favorables à des institutions privées qui peuvent délivrer des  « titres maison » trompeurs et autres « labels » tels que Bachelor, Mastère, Phd (voir le rapport lénifiant dont bénéficie emlyon business school où l’on retrouve Galileo Global Education et BPI France avec Guillaume Pepy en président du conseil de surveillance).

Précisons que la mission d’évaluation du Hcéres consiste à : Évaluer en toute indépendance les établissements, leurs regroupements, leur recherche, leurs formations et leurs écoles doctorales pour leur permettre de progresser.

Nous avons consulté divers rapports concernant des Établissements d’Enseignement Supérieur Privés d’intérêt Général ESPIG où notre syndicat est implanté et dont nous connaissons que trop bien les conditions de travail des personnels. Nous avons trop souvent l’impression de nous retrouver face à une plaquette publicitaire qui se limite à la reprise commentée, sous forme d’une critique lénifiante, du dossier d’auto-évaluation de l’institution. La méthode appliquée par l’Hcérès consiste à partir d’un rapport d’autoévaluation, qui permet à chaque entité évaluée de qualifier sa trajectoire de développement pour élaborer un rapport de synthèse avec des informations recueillies lors de la visite du comité d’experts … Une telle méthode conduit immanquablement à une conclusion neutre qui ne peut aller que dans le sens de l’institution ainsi évaluée. Fonder un rapport d’expertise sur un tel biais interroge. Sommes-nous face à une instrumentalisation volontaire de l’institution publique au service d’intérêts privés ?

La dimension sociale n’est pas comprise dans ces « rapports » qui se limitent le plus souvent à une incise « gestion des ressources humaines ». Un exemple de la prose rencontrée en la matière (rapport EFREI PARIS) :

Les personnels administratifs et techniques bénéficient d’entretiens annuels et professionnels appréciés et de nature à répondre à leurs préoccupations.

Le dialogue social existe sous une forme originale, celle d’un CHO, « Chief happiness officer ». Véritable artisan du bien-être au travail, soutenu par la direction, le CHO joue un rôle clef de « conciliateur » entre les acteurs qui ressentent parfois « le climat assez tendu entre les services ».

Un pareil manque de sérieux prêterait à rire si nous ne connaissions pas la réalité de la souffrance au travail des personnels.

Ces deux exemples sont de nature sinon à déconsidérer l’institution du moins certaines de ces pratiques en matière d’évaluation d’entités du secteur privé.

Les « évaluation et qualité Hcéres », sans clause de revoyure, ne sont pas contraignantes pour les institutions privées évaluées de la sorte. Plus grave, elles peuvent être utilisées comme outil de communication et constituer un argument publicitaire par l’inscription du logo Hcérès sur les sites de ces entités commerciales. Il faut compter le plus souvent 10 ans entre deux évaluations …

  • Les rapports « évaluation et qualité Hcéres » sont à une enquête, une inspection ce qu’est le publi-reportage à un article de fond.
  • Le logo Hcérès doit être interdit de reproduction, d’inscription sur les sites de l’enseignement privé lucratif.
  • Le système « évaluation et qualité Hcéres » et son biais neutralisant doit être révisé.
  1. La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes accomplie efficacement ses missions. Elle est méconnue des étudiants inscrits dans le secteur privé lucratif. En conséquence, nous recommandons que la page la DGCCRF « faire un signalement » devrait comprendre une rubrique « Enseignement et formation privés, CPF, VAE ».

On peut s’interroger sur le manque de moyens de la DGCCRF à l’exemple des inspections du travail, etc.

  • Nous recommandons de lever l’anonymat des écoles contrôlées et des faits frauduleux relevés. Il est nécessaire d’en assurer la publicité.
  • Nous recommandons que la DGCCRF développe systématiquement ses contrôles sans attendre l’accumulation des signalements.
  • Nous recommandons l’inscription des coordonnées de la DGCCRF et de ses services déconcentrés avec leurs liens de signalement et autres formulaires en ligne sur Parcoursup ainsi que sur les contrats d’achat des formations proposés par les entreprises lucratives d’enseignement supérieur privé. L’on devrait aussi trouver pareil affichage sur le site de France compétences voire les sites des groupes de l’enseignement privé lucratif et de leurs diverses entités.

Voir https://efp-cgt.reference-syndicale.fr/2023/01/enseignement-superieur-controle-de-letat/

 

Les problématiques contractuelles entre les établissements du privé lucratif et les étudiants ?

Les étudiants et leurs parents croient acheter un diplôme d’État leur assurant l’accès à un métier spécifique et un niveau de salaire. Ils ignorent le plus souvent qu’ils acquièrent au mieux un titre RNCP relevant du Ministère de l’industrie et non un diplôme national relevant du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

Il y a souvent tromperie : les diverses offres de formation d’entreprises du privé lucratif peuvent être présentées dans leurs catalogues sous formes de « spécialités » ou de « métiers » qui se retrouvent in fine sous un même numéro de titre RNCP. Croyant avoir acheté un produit spécifique, les divers clients se retrouvent en fin de cursus avec un même titre RNCP accompagné d’un diplôme maison, à la dénomination satisfaisante, sans la moindre valeur académique. Il est en fait « vendu » un niveau de titre accompagné d’un emballage publicitaire.

Nos recommandations :

  • Droit de résiliation le premier mois et au début du second semestre avec remboursement des frais de scolarité. C’est un élément fondamental pour permettre les changements de formation et éviter de rendre captive la clientèle.
  • Le paiement des prestations ne doit en aucun cas dépasser l’année.
  • Indication précise des ECTS qui doivent se rapporter à des heures effectives de face-à-face et non à des heures de « travail collaboratif », « workshop » et autre « learning by doing » au nom d’un enseignement dit « innovant ».

La charge de travail d’un étudiant dans l’enseignement supérieur européen est comprise entre 1500 et 1800 heures pour une année universitaire, ce qui signifie qu’un crédit correspond à 25/30h de travail ; 30 crédits ECTS par semestre, 60 crédits ECTS par année. En France, la conférence des présidents d’université recommande 1650h par année académique et 25/30h par ECTS.)

  • Indication du titre RNCP et de son numéro correspondant à la formation visée, achetée (indication obligatoire du lien France compétences pour avoir accès au descriptif du titre et de sa durée de validité). Préciser que le titre RNCP relève du ministère du travail et non de celui de l’enseignement supérieur et qu’il n’existe pas d’équivalence entre « titres » et « diplômes ».
  • Indication précise que l’entreprise-école est détentrice effective du titre ou simplement loueuse et/ou emprunteuse avec indication du certificateur. 
  • Remboursement des sommes en cas d’absence de contrat d’alternance ou de contrat ne correspondant pas à la formation ciblée.
  • Remboursement des sommes perçues après obtention du diplôme en cas d’un salaire ne correspondant pas au niveau indiqué dans les annonces publicitaires ou de l’absence d’un CDI dans les 6 mois.
  • Indication des coordonnées et des liens de France compétences pour signalement.
  • Indication des coordonnées et des liens de la DGCCRF et de ses antennes pour signalement et porter plainte.
  • Rappel du principe de laïcité et de lutte contre toutes les formes de discrimination.

Toutes ces indications portées au contrat doivent aussi être mentionnées sur toutes les plaquettes et sites internet de ces entreprises d’enseignement privé lucratif.

 

La présence d’investissements de Bpifrance au capital de grands groupes ?

La participation de Bpifrance, banque publique d’investissement, aux LBO (achat à effet de levier) des grands groupes de l’enseignement supérieur lucratif qui ne relèvent pas de l’économie sociale et ne sont ni des entreprises innovantes ni des PME nous semble contraire à ses missions.

La mise en avant de la digitalisation et la numérisation des enseignements, le rapprochement entre Digital et Enseignement n’a en réalité que pour seul objet de « tuer les coûts » en réduisant à la portion congrue les cours de face-à-face et en augmentant le nombre d’élèves, de « clients » avec des cours multi-diffusés en comodal et/ou en différé et cela, en faisant fi du droit à l’image et de la propriété intellectuelle. Des contrats léonins sont proposés à la signature avec abandon desdits droits en tout temps et en tout lieu. Il est prévu dans ce type de contrat : la captation, la fixation, la reproduction, la diffusion, la publication et/ou l’exploitation de sa voix et de son image avec absence de contrepartie.

Voir https://efp-cgt.reference-syndicale.fr/2020/10/propriete-intellectuelle-et-droit-a-limage-gare-aux-abus/

Bpifrance se comporte comme un agent de la financiarisation du secteur qui apporte une « caution morale » aux montages financiers de fonds étrangers (Cinven, Montagu, Office d’investissement du régime de pensions du Canada, General Atlantic, Cathay Capital (sino-français) ; Français Ardian ; familiaux (Téthys Invest, Chan Zuckerberg Initiative) ; d’investisseurs visant la startup nation et le secteur de l’enseignement (Alven, Citizen Capital, GSV Ventures, Lumos Capital Group, Raise investissement, Salesforce ventures). Le rapport d’information sur l’enseignement privé lucratif apporte des informations intéressantes p. 89-90. Bpifrance renforce de fait le secteur privé lucratif contre l’enseignement public. C’est en cela qu’elle entend, au détriment du secteur public, « Servir l’avenir ».

Quelques remarques

  • La stratégie d’investissement de Bpifrance dans le secteur de l’enseignement privé lucratif date de 2015 environ.
  • Bpifrance investit toujours en tant qu’actionnaire minoritaire, au côté de fonds d’investissement. Elle se positionne comme étant un investisseur de « long terme », permettant de participer à une certaine stabilité du secteur. Mais les fonds avec lesquels elle intervient n’ont pas de vision aussi « long terme » et envisagent plutôt un investissement de 3 à 5 ans. Après quoi le fonds revend sa cible avec l’objectif de faire une plus-value. Souvent, la BPI reste actionnaire du nouveau LBO qui se monte, au côté d’un nouveau fonds.
  • Le positionnement minoritaire de la BPI ne lui confère guère de pouvoir. Quand bien même elle souhaiterait garantir une stratégie de long terme, elle n’en a pas le pouvoir.
  • La part minoritaire de BPIfrance dans les groupes est difficile à déterminer. Par exemple BPI participe à l’achat d’un groupe avec un fonds à hauteur de 55%, on ne peut savoir quels sont les apports respectifs. Les participations de BPI France : AD Education 2016 et 2021 (38% avec CATAY) ; 2018 et 2021 Open Classroom ; 2019 Omnes Education 10% ; 2018-20 Galiléo Global Education 10% ; 2020 Odyssey 7,5 M et probablement plus en 2023 ; Collège de Paris (26% avec Raise Investissement). Les deux dernières entités lucratives visent le marché africain.
  • On s’aperçoit surtout que la BPI participe à ce mouvement de financiarisation du secteur de l’enseignement (et à la bulle financière des années 2015-2022), et en accompagne les stratégies. La BPI évoque d’ailleurs elle-même l’objectif de toutes ces opérations : lever des capitaux pour financer les axes de développement et les dépenses liées à l’internationalisation (ouverture ou rachat d’écoles à l’étranger), l’ouverture de nouveaux campus, la digitalisation et la numérisation des enseignements, le rapprochement entre Digital et Enseignement. 

  • La BPI entend notamment participer au rapprochement des acteurs et à la consolidation du secteur. Y compris au rapprochement entre le monde technologique/digital et celui de l’éducation. La BPI a ainsi participé au rachat d’OpenClassrooms, école 100% en ligne où l’on peut trouver comme investisseur Chan Zuckerberg Initiative (CZI) et nombre des spéculateurs de la startup nation.
  • Elle apporte également une certaine caution à ces groupes, comme l’évoque le PDG de Galileo en 2021 in Dépêche AEF n° 660428 : « Nous appartenons maintenant à des acteurs publics et à des acteurs institutionnels qui s’inscrivent dans un temps long. […] La nature publique de nos actionnaires est très importante quand on vise à former un million d’étudiants dans le monde. »

Le privé utilise le public pour mieux « l’investir » ! (Voir aussi l’utilisation des rapports « évaluation et qualité Hcéres » et des labels via France compétences).

Recommandations :

  • Nous recommandons que Bpifrance se concentre sur ses missions et cesse d’apporter sa caution à des montages financiers dont le seul but est le profit. La qualité pédagogique et scientifique étant considérés par les « tueurs de coûts » comme des freins à la rentabilité.
  • Nous recommandons d’étudier les interventions des représentants de Bpifrance dans les conseils d’administration des groupes concernés par ses investissements. Quelles interventions visant à améliorer la qualité de l’enseignement et la recherche scientifique ? Quels points de vigilance mis en exergue ?
  • Nous recommandons une information sur les montants réels engagés par Bpifrance dans les diverses opérations.
  • Nous recommandons une information sur le soutien de Bpifrance à des « groupes », Collège de Paris et Odyssey, qui concurrencent les écoles publiques de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) et des établissements associatifs de la Mission laïque française. L’information pourrait s’intéresser aux dirigeants anciens hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et ancien ministre de l’éducation. Nous alertons en particulier sur le rôle joué par l’institution financière en participant au sauvetage de l’Odyssey de Luc Chatel en avançant : « Odyssey a un potentiel business phénoménal et porte la voie de la France à l’étranger », voir https://www.challenges.fr/politique/les-mesaventures-de-luc-chatel-dans-le-business-de-l-education_845276. À voir ces potentiels conflits d’intérêt à l’aune de la plainte déposée pour prise illégale d’intérêts à l’encontre de son dirigeant et de 200 de ses « collaborateurs » (produit financier de fonds de fonds, « BE1 », « BE2 »)

 

Une bulle financière

 Nous vous alertons sur la constitution d’une bulle financière via la surévaluation des groupes — « valorisation » en jargon néo-libéral — due à un endettement inconsidéré avec les LBO successives, les achats nécessaires au développement externe dans un secteur hyper concurrentiel et les investissements immobilier pour créer des « campus ». Tout ceci conduit à une bulle financière qui ne demande qu’à éclater sous un modèle largement dépendant des dispositifs publics en particulier de l’alternance et du CPF.

Nous parlons « d’entreprises lucratives d’enseignement supérieur privé », tant la dimension « enseignement » passe derrière la dimension « financière ». Ce secteur marchand a été la cible des fonds d’investissement britanniques et canadiens qui se sont bousculés pour acheter des groupes afin de placer leur trop plein de capitaux dans ce marché en expansion à l’exemple des secteurs pharmaceutiques, hospitaliers ou d’aide à la personne. Ces achats plus qu’onéreux ont été réalisés s’en tenir compte de divers effets. L’intensité concurrentielle : nombre d’établissements, nouvelles écoles, saturation de certaines villes, essoufflement, etc. L’incertitude réglementaire : les certifications et les modalités de financement public, rapports de la cour des comptes sur l’alternance (juin 2022), la formation professionnelle (juin 2023) et sa note Recentrer le soutien public à la formation professionnelle et à l’apprentissage (juillet 2023) ; le « Rapport sur l’enseignement privé lucratif » issu de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée Nationale. Les enquêtes des médias traditionnels et des médias sociaux : voir d’une part, les articles toujours plus critiques dans la presse nationale de Libération à Le Point et la télévision avec « Complément d’enquête ». À qui profitent les milliards de l’apprentissage? d’autre part « Balance ton école », « Balance ton alternance », « Balance ton stage » qui tendent à supplanter la marque label Qualiopi. Le risque d’une perte des soutiens gouvernementaux, l’instabilité politique s’accentue. Le poids des dispositifs publics : dans le financement de l’activité et du développement, l’apprentissage est souvent majoritaire en second cycle. L’inflation des dépenses : fonctionnement (énergie, loyers, salaires…), structuration de groupes parfois peu organisés (fonctions centrales, IT, commercial, marketing, outils de gestion, etc.), frais financiers, ouvertures, etc. Cette inflation pèse déjà sur les résultats des groupes d’enseignement. Avec pour conséquence, bien souvent, une modération salariale ou une gestion a minima de l’effectif pour compenser ces hausses … et pour continuer à rembourser la dette. La structure financière des groupes : inflation des dettes (LBO, investissements immobiliers, croissance externe avec le plus souvent de nouveaux emprunts), contreparties de ces contraintes financières sur les modes de fonctionnement et la gestion des coûts.

À titre d’exemples, depuis 2020, les valorisations financières, déraisonnables, sont pour Galiléo Global Education de 2,3 Mds€, Groupe EDH 700 M€ soir 22 fois l’EBITDA (bénéfice effectué par une société avant la soustraction des intérêts, des impôts, taxes, dotations aux amortissements et provisions sur immobilisation), AD Education 600 M€ soit plus de 25 fois l’EBITDA, cet opérateur avait déclaré qu’il s’appuyait sur Bpifrance comme actionnaire minoritaire pour créer un groupe spécialisé « dans les domaines spécifiques des disciplines créatives » … il vient de racheter le groupe Léonard de Vinci pour 330 M€ (ex « Fac Pasqua ») spécialiste du management avec une école d’ingénieur et une autre du numérique ! La cavalcade mégalomaniaque au toujours plus gros, à la prétention hégémonique est le symptôme de l’hubris de « dirigeants » prédateurs, âpres au gain.

 

Quelques remarques complémentaires

On l’aura compris la dimension lucrative de l’enseignement privé et son modèle économique s’accommodent difficilement du respect du droit social. Les montages juridiques ont des conséquences importantes sur les droits collectifs et individuels ainsi que le recours abusif aux CDDU, aux micro-entrepreneurs. Tout ceci entrave la mise en place des institutions représentatives du personnel et la représentation syndicale. Les entreprises du secteur sont farouchement anti-syndicales et la répression et discrimination syndicales peuvent y être féroces.

Nous sommes en présence d’un patronat décomplexé qui intègre dans ses calculs économiques les éventuels contentieux lorsqu’un salarié courageux s’y risque. De telle sorte que le travail syndical se résume à exiger l’application des dispositions légales et conventionnelles quand nous sommes présents, avant d’avoir des revendications de quelle que nature que ce soit.

Par ailleurs, concernant les apprenants sous contrat d’alternance, ils ne bénéficient d’aucune protection en face aux violences sexuelles ou sexistes ou au harcèlement.

Il serait opportun que leur droit de retrait soit consacré sans qu’ils en paient les conséquences (licenciement, fin de contrat) et qu’ils trouvent des interlocuteurs pour les informer, voire pour mettre fin aux abus.

 

Proposition de loi visant à un meilleur encadrement de l’enseignement supérieur privé à but lucratif pour mieux protéger les étudiants, n° 984, déposée le mardi 18 février 2025. 

 

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