Les données chiffrées ; la financiarisation ; les titres et certifications ; la précarité des enseignants et formateurs ; les moyens de la lutte.
Préambule, les données et les chiffres
Le SNPEFP-CGT analyse pour mieux les combattre les mécanismes de la financiarisation et de l’essor des secteurs de l’enseignement privé lucratif et des organismes de formation. Les raisons en sont multiples : paupérisation de l’enseignement supérieur public, réforme de l’apprentissage, financement tous azimuts par l’État et les collectivités locales, apports en capitaux des fonds de pension et de BPI France, marketing agressif jouant sur les angoisses des parents et des jeunes, dénigrement de l’enseignement public et ciblage des classes populaires peu averties. Et cela, sans omettre la révolution du code du travail qui a renforcé la partie forte (l’employeur) au détriment de la partie faible (les salariés) et des dispositifs fiscaux et juridiques qui légalisent de fait la fraude à l’impôt et l’abus de bien social pour mieux faire disparaître la valeur ajoutée sur le dos des travailleurs et des citoyens.
En 2023, la part du privé dans l’enseignement supérieur représente 26,6% soit une progression de plus du double depuis 1998. En 2022-2023, les apprentis représentent près de 39% des étudiants du supérieur privé. Avec ces simples données, l’on peut déduire d’une part que le privé est devenu un acteur majeur de l’enseignement supérieur et qu’il n’entend pas s’arrêter là — il ne se limite plus aux universités catholiques et aux écoles d’ingénieurs et de management de la FESIC, en 2024 il représente plus du quart de l’éducation supérieure — d’autre part que le privé est sous perfusion de la manne de l’alternance via le détournement du dispositif initial avec son ouverture au public du supérieur. Précisons que le déficit cumulé de France Compétences, depuis sa création en 2019, est inversement proportionnel à l’augmentation du chiffre d’affaire des groupes privés ! Telles sont les conséquences d’une politique de l’offre sans fixation de limite globale aux dépenses attachées au développement de l’alternance et du Compte Personnel de Formation.
Cette politique de faveur accordée par la Loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a permis à l’ancienne ministre du travail, Muriel Pénicaud, d’entrer au Conseil d’administration de Galileo Global Education, leader mondial du secteur, présidé par Martin Hirsch ex APHP sans oublier Guillaume Pepy ex SNCF. La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique a émis, sur la reconversion professionnelle de l’ex ministre du travail, un simple avis « de compatibilité avec réserves prononcées pour une durée de 3 ans ». Ajoutons que l’ancienne équipe de la ministre a fondé le cabinet Quintet pour monnayer son expertise sur la réforme qu’elle a concocté et ainsi : « Conjuguer business et bien commun ». Le politique est directement au service de la financiarisation du secteur.
1. La financiarisation
L’objet de la financiarisation
La financiarisation et ses multiples pratiques ont un seul objet : la recherche de la rentabilité à court terme en maximisant la rémunération de l’actionnaire et la valorisation de l’entreprise tout en minimisant les dépenses fiscales et sociales. La formation pédagogique est hors sujet.
Le principe réside dans la démultiplication de sociétés constitutives d’un groupe afin de créer une structure opaque favorisant une circulation de flux financiers qui a pour seul but d’assécher les résultats des diverses entreprises quand ledit groupe se porte très bien.
Pour ce faire, diverses pratiques sont utilisées : les frais de management facturés par la maison-mère à ses filiales (coût de fonctionnement du groupe comprenant entre autres les salaires des dirigeants et les frais de siège), redevances liées à l’activité (loyers, marque/logo, gestion de l’activité dont RH, finances, achats …), prestations de services centralisés (informatique, marketing, commercialisation, conseils), loyers (utilisation des locaux via des SCI), centre de services partagés (comptabilité, paie, RH, etc.). Pour visualiser le système, il suffit d’imaginer une entreprise-école qui verse des loyers à une société immobilière, des redevances à une société de communication et de marketing, des dividendes et des redevances à la holding et enfin des royalties à une société extérieure au groupe détentrice de la marque et de son logo. La société de communication reversant elle aussi des dividendes à la holding ! L’entreprise-école est focalisée sur le recrutement de clients (les élèves) et la facturation de « prestations pédagogiques », la gestion de fichier excel, sans avoir ni la maîtrise de sa communication ni celle de sa stratégie.
Aux ordres des financiers, la direction d’une école est surtout chargée de recruter les « clients » et de faire passer les « réformes pédagogiques successives » visant à saturer les salles de cours et réduire les heures de face-à-face, le « présentiel » trop coûteux. La fameuse « transformation digitale » de l’enseignement en directe et en différé avec le mixte « présentiel »/« distanciel » dans le jargon marketing « bi-modal » ou « comodal », supposée garante de nouveaux marchés et clients relève de la quête du Graal. Une politique menée tambour battant par Galiléo et ses formations 100 % en numérique de sa filiale Studi (2018) et par AD Education avec le rachat, d’Oktogone (2022) spécialiste de la formation à distance, pour 200 M€ soit 20 fois l’EBITDA. De nouveaux concurrents tentent l’aventure du tout numérique jusqu’à réduire l’existence physique de l’entreprise à une boîte aux lettres. Tout doit être fait pour réduire la masse salariale au nom du regroupement des services et de leur « mutualisation » et la limitation du nombre de CDI et CDII pour les enseignants et formateurs (statut micro-entrepreneur, portage salarial, recours abusif aux contrats précaires (CDD, CDDU) ; avec ces artifices, certains organismes de formation n’ont plus que des « prestataires extérieurs ». Par la grâce du label Qualiopi, les groupes développent aussi une politique de passerelles entre formation initiale et formation continue avec l’organisation des enseignements en « modules » pour récupérer la manne de la formation professionnelle. La « modularisation de l’enseignement » reliée au « distanciel » forme le nouveau couple infernal, destructeur d’un véritable enseignement et des métiers. Pour les administratifs ou commerciaux, l’utilisation du « contrat de professionnalisation » ou de la « convention de stage », en puisant dans la réserve des alumni tenus par l’obtention de leur « diplôme », est un bon moyen pour obtenir des « collaborateurs », « corporates » et « flexibles », à faible « coût » [1 064,86 € brut pour les uns, « gratification minimale » (3,75€/h) pour les autres]. Il existe aussi l’appel aux élèves pour participer aux JPO et Salons qui donnent gratuitement de leur personne au prétexte de l’obtention de crédits supplémentaires pour leur ECTS, dans le cadre d’un apprentissage de la « relation commerciale ». Cette gestion serrée des dépenses pédagogiques et de la recherche exacerbée de productivité des administratifs à des effets immédiats : l’augmentation des prix des formations, leur baisse de qualité et les conditions sociales dégradées des personnels
En bref, l’activité opérationnelle des écoles-entreprise d’un groupe est dispersée entre diverses entités qui ponctionne et impacte son résultat. Ce transfert de résultat qui est aussi celui de la valeur ajoutée peut s’opérer aussi bien d’une entreprise vers une autre (la maison-mère) que depuis un pays vers un autre (paradis fiscal) ; les deux types peuvent se conjuguer après remontée à la maison-mère vers une autre holding située hors territoire national. Les conséquences sont socialement lourdes au niveau de l’entreprise — déficits récurrents, contournement de la participation, gel salarial, restructurations, destruction des métiers, harcèlement, burnout, etc. — et à celui de l’État avec « l’optimisation fiscale », l’abus de bien social légalisé.
Le moyen de la financiarisation : l’achat à effet de levier ou LBO (leveraged buy-out)
Une société Holding est créée afin d’acquérir une société cible. Les ressources de la Holding sont composées des fonds apportés par les repreneurs (généralement entre 10% et 40% des ressources nécessaires au rachat), et par les dettes bancaires pour payer le reste, la majeure partie. La Holding fait l’acquisition de la société cible. La société cible doit rembourser la dette via ses résultats et la remontée de dividendes. À horizon 4-7 ans, le repreneur revend la société cible ou l’introduit en bourse, avec l’objectif de réaliser une plus-value juteuse.
Le LBO revient à faire financer une partie de l’achat de l’entreprise par le collectif de travail. Les risques portent sur la façon dont le repreneur entend valoriser l’entreprise et accroître les bénéfices pour rembourser la dette. Ces risques sont de plusieurs ordres. Sociaux : réduction de l’effectif, gel salarial, dégradation des conditions de travail, cession d’activités, restructuration/PSE en cas d’échec de l’achat à effet de levier, etc. Économiques : remontée excessive de dividendes, redevances et honoraires exorbitants, baisse des investissements, baisse des dépenses de développement (R&D, formation …), etc. Financiers : insuffisance de trésorerie … redressement judiciaire.
La direction de la holding avec ses « tueurs de coûts » n’a qu’un seul objectif : faire remonter un maximum de dividendes, tout en se rémunérant en salaires immodérés et actions, pour payer la dette et préparer une revente à prix astronomique. Il s’agit de présenter un chiffre d’affaire en expansion et un taux de rentabilité des plus attractifs. La course à la taille se fait alors par l’ouverture de nouveaux centres en accroissant le parc immobilier des SCI et l’achat de concurrents à tout prix en contractant de nouvelles dettes. Tout ceci ne peut fonctionner qu’avec le soutien des banques et une politique publique favorable.
Les finances publiques soutien aux montages financiers privés, constitution d’une bulle
Un soutien sans faille est apporté par les aides gouvernementales aux grands groupes de l’enseignement et de la formation privés via le détournement des fonds publics : le crédit impôt recherche, l’open bar de l’alternance et demain les fonds de l’IA. Sans oublier la récupération de la taxe d’apprentissage. Ces groupes, essentiellement financiers, s’appuient sur les prêts de BPI France qui s’accaparent partie des fonds de la Caisse des dépôts et consignations sans en appliquer les règles prudentielles en oubliant l’historique banqueroute du Crédit Lyonnais. Tout ceci conduit à une bulle financière qui ne demande qu’à éclater sous un modèle largement dépendant des dispositifs publics en particulier de l’alternance et du CPF.
Nous parlons désormais « d’entreprises lucratives d’enseignement supérieur privé », tant la dimension « enseignement » passe derrière la dimension « financière ». Ce secteur marchand a été la cible des fonds d’investissement britanniques et canadiens qui se sont bousculés pour acheter des groupes afin de placer leur trop plein de capitaux dans ce marché en expansion à l’exemple des secteurs pharmaceutiques, hospitaliers ou d’aide à la personne. Ces achats plus qu’onéreux ont été réalisés s’en tenir compte de divers effets. L’intensité concurrentielle : nombre d’établissements, nouvelles écoles, saturation de certaines villes, essoufflement, etc. L’incertitude réglementaire : les certifications et les modalités de financement public, rapports de la cour des comptes sur l’alternance (juin 2022), la formation professionnelle (juin 2023) et sa note Recentrer le soutien public à la formation professionnelle et à l’apprentissage (juillet 2023). Le poids des dispositifs publics : dans le financement de l’activité et du développement, l’apprentissage est souvent majoritaire en second cycle. L’inflation des dépenses : fonctionnement (énergie, loyers, salaires…), structuration de groupes parfois peu organisés (fonctions centrales, IT, commercial, marketing, outils de gestion, etc.), frais financiers, ouvertures, etc. La structure financière des groupes : inflation des dettes (LBO, investissements immobiliers, croissance externe), contreparties de ces contraintes financières sur les modes de fonctionnement et la gestion des coûts. À titre d’exemples, depuis 2020, les valorisations financières, déraisonnables, sont pour Galiléo Global Education de 2,3 Mds€, Groupe EDH 700 M€ soir 22 fois l’EBITDA (bénéfice effectué par une société avant la soustraction des intérêts, des impôts, taxes, dotations aux amortissements et provisions sur immobilisation), AD Education 600 M€ soit plus de 25 fois l’EBITDA, etc. Précisions qu’AD Education est à sa 2e LBO consécutive et EDH à sa 4e … Qui va se risquer à reprendre la patate chaude, les futures pertes ? Les fonds souverains des émirats arabes unis ? Les grands groupes en rêve …
De la communication et du lobbying des groupes lucratifs du supérieur privé
Tous ces groupes ou « supermarchés de produits de formation », en affirmant leur « leadership », utilisent les mêmes éléments de langage : « international », « innovant », « digitale », « compétences transversales », « pluri-compétences », « adaptabilité », « employabilité durable ». Autant de prétendus gages de « l’employabilité » des « alumni », de leur insertion professionnelle. Les écoles s’internationalisent, les offres évoluent vers davantage de distanciel, de numérisation et d’alternance. Nombre d’enseignants sont sommés de faire leurs cours en anglais pour attirer le public international qui doit suppléer aux difficultés de recrutement des nationaux. Ces derniers, attirés par une publicité en trompe-l’œil fondée sur la gratuité d’études rémunérées par l’alternance et une place garantie via l’angoissant Parcoursup pour acquérir un métier devant assurer un niveau de salaire, ne sont guère enclins à « financer » leurs études. Pour cette nouvelle génération de connectés les réseaux sociaux, avec les liens du type « balance ton école … ton stage … ton alternance, etc. », remplacent la sacro-sainte certification de la marque Qualiopi.
La promotion d’une « marque groupe », d’un logo doit pallier la perte de notoriété des diverses entreprises-écoles et les effets de cannibalisme des achats successifs d’entités concurrentes. Notons que le domaine de formation de ces groupes, mimant l’université, relève au 3/4 de l’univers du commerce et de la comptabilité, des écoles d’ingénieurs ou préparant aux « fonctions sociales » ; les écoles d’arts appliqués et l’informatique ne représentant que 10% ! Ces groupes séduisent leurs « prospects » avec de rares « produits phares » ou « têtes de gondole » qui délivrent des diplômes d’État. Une de leur stratégie de vente consiste à avancer l’inscription de leurs formations au Répertoire National des Certifications Professionnelles RNCP tout en entretenant la confusion entre « certification » d’une formation et « équivalence » aux diplômes de l’Université par l’usage d’intitulés faisant référence au Processus de Bologne et aux décrets d’application du LMD (Licence, Master, Doctorat) avec le fameux ECTS (European Credit Transfer System) nécessaire à l’obtention des dits diplômes (la « Licence » devient un « Bachelor » à consonance anglo-saxonne, et le « Master » un « Mastère »). Un autre pseudo-diplôme est mis en exergue : le MBA (Master of Business Administration). Autre outil de communication, l’invitation de conférenciers-vedettes généreusement rémunérés pour constituer autant « d’événements de prestige » qui viennent ponctuer l’année. La mascarade trouve son point d’orgue lors de cérémonies de fin d’études à l’américaine avec remise de « diplômes maisons » et force champagne laissant accroire aux prospects qu’ils en ont eu pour leur argent ! Tout ceci visant à renforcer l’appartenance à une identité de marque, à une pseudo-élite via les BDE et les associations des anciens élèves. Ainsi brossé, le tableau est bien loin de l’affichage d’un enseignement original rivalisant avec les formations du public ; la majorité de la formation du privé relève des sciences éco et d’AES.
Ces supermarchés et supérettes de la formation (Eduservices, Galileo, Ionis, Omnes, AD Education, Eureka, Ynov, etc.) sont autant de concurrents qui agissent auprès des pouvoirs publics pour défendre leurs intérêts financiers : le hold-up sur l’enseignement supérieur public et les fonds de la formation professionnelle. Ainsi, l’association des entreprises éducatives pour l’emploi « 3E », et sa Conférence des Établissements d’Enseignement Supérieur à vocation Professionnelle et de l’Alternance (CEESPA), qui rassemble la plupart des opérateurs a pour objet de faire vivre l’initiative privée dans le supérieur ou plaider pour l’intégration de l’enseignement supérieur professionnalisant au sein du secteur de l’enseignement supérieur ou encore pour ne pas les laisser (les 250.000 apprenants) en dehors du MESR simplement parce que nos établissements ne s’appuient pas sur la recherche et sont à but rentable (sic). » En bref, il s’agit d’un lobbying pour qu’au minimum l’intégralité des catalogues de formation du privé lucratif se retrouve sur Parcoursup avec un pseudo Label qualité du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche qui ne fera qu’ajouter de la confusion à la confusion ; les marques Groupe servant de gage d’honorabilité ! Le propos étant d’obtenir que label soit dévolu à l’établissement voire au groupe lui-même pour une longue durée en « contractualisant avec le MESR ». L’obtention du futur label permettrait aussi de capter partie des bourse étudiantes réservées jusqu’alors aux étudiants du public. En fait, ce prétendu « label qualité » sera le cheval de Troie destiné à faire glisser les titres RNCP du ministère du travail vers les diplômes universitaires du MESR afin de supplanter à terme l’Université publique.
Le système est tellement prégnant que des groupes à capital 100% familial ou des associations sans but lucratif appliquent les mêmes recettes de « management financier ». Nous sommes bien dans le cadre du système néo-libéral qui considère l’Éducation comme une marchandise et non comme un savoir humaniste, un acquis social auquel tout citoyen peut prétendre gratuitement.
2. Les titres, les certifications et le label Qualiopi
2.1 France compétences et la « gestion » des titres RNCP
Il y aurait fort à dire sur le montage des dossiers des titres RNCP, via des officines incitant à leur location voire de « réseaux », où le formalisme administratif de la présentation des critères se dispute au déclaratif.
En particulier, il serait souhaitable que les salaires déclarés — correspondants aux emplois des élèves sortants — soient justifiés par la fourniture des bulletins de paie et que le calcul des ECTS se rapportent à des heures effectives de face-à-face et non à des heures de « travail collaboratif », « workshop », « travail en autonomie » et autre « learning by doing » au nom d’un enseignement dit « innovant ».
Ces dérives ne sont pas nouvelles et France compétences — établissement public de financement, de régulation et de transparence du système de formation professionnelle et d’apprentissage — n’a toujours pas apporté de réponses satisfaisantes sur ces points. Le temps d’instruction consacré aux dossiers à l’aune du métier visé et du handicap (1° et 3° R6113-9 C.T.) ne change rien à l’affaire. Comparer un dossier administratif relevant du déclaratif, du savoir-faire technique avec les indications portées sur le site internet de l’entreprise certificatrice et de leurs partenaires a pour le moins ses limites tout comme celui des organismes certificateurs ou d’instances de labellisation qui peuvent aussi être des organismes de formation comme les E2C. L’organisation en « réseaux » de certificateurs avec le louage des titres RNCP à des « partenaires » n’est pas gage de « transparence ».
Quid de la véritable qualité des formations proposées dans tout cela ?
Créée le 1er janvier 2019, par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018, France compétences a pour mission d’assurer le financement, la régulation et l’amélioration du système de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Une loi qui augmente le financement public du secteur privé via la formation en alternance au nom des « compétences » ; en d’autres termes : le saucissonnage de l’enseignement en « modules » au détriment des formations longues et qualifiantes, garantes d’un métier.
Notre interrogation se porte sur la location des titres RNCP qui permet, depuis 2018, à une entité de tirer rétribution de ses certifications auprès de tiers ; « monétiser » en jargon néo-libéral. Cette dérive, pour le moins surprenante, semble avoir été introduite d’une part pour réduire le nombre des certifications correspondants à des métiers (« meilleure lisibilité de l’offre de formation ») et par la même celui des dossiers à instruire, d’autre part pour ouvrir un nouveau marché lucratif à des « réseaux » de « co-certificateurs » et/ou « partenaires habilités » voire à des opérateurs historiques comme les 4 grands groupes de l’enseignement et de la formation privés : Galileo, Eduservices, Ionis et Omnes.
Cette « licence » de louage a été accordée obscurément, en 2018, par la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP) — instance dépendante du Ministère du Travail — avant la création de France compétence le 1er janvier 2019. Elle est la conséquence de la libre définition du « process de certification » décrit par le certificateur. Cette tolérance participe du soutien à tout prix du secteur privé comme en témoignent les « 131 certifications professionnelles enregistrées au Répertoire national des certifications professionnelles et arrivant à échéance prolongées durant la période d’urgence sanitaire » (mai 2020 in Rapport d’activités 2021, p. 18) et en 2022 : « au-delà de la maîtrise des délais d’instruction qui reste un enjeu central, une attention particulière sera portée au développement de passerelles ou d’équivalences entre les certifications enregistrées. » (in Rapport d’activités 2021, p. 41).
L’économie des missions de France compétences repose en partie sur la délégation de la certification à des tiers via le label Qualiopi qui « atteste de la qualité des process, mais pas nécessairement la qualité des formations dispensées » (voir Rapport d’activités 2020 p. 38 ; RA 2021 p. 13 col 2, p. 40 et p. 46) et sur la gestion des « datas » (voir RA 2020 p. 14-17, p. 57-59 ; RA 2021 p. 51-52). En l’état actuel, l’obtention du label Qualiopi est le Saint Graal permettant le financement de l’alternance par les OPCO et la condition de base pour présenter un dossier de certification. Tout se passe comme si France compétences, vue l’ampleur du quantitatif, en était réduit à trouver sans cesse de nouveaux artifices pour déléguer à des entités privés la gestion du qualitatif via les organismes de certification autorisés et les instances de labellisation sans oublier « l’autorégulation » des réseaux de certificateurs et/ou co-certificateurs dont certaines entités peuvent être situées à l’étranger et hors CEE.
À qui profitent les titres RNCP « parapluie » et « sur roulettes » ?
Le problème réside bien dans la qualité de l’offre de certification et de sa publicité. Hormis la location de titres à des tiers, nous découvrons de nouveaux montages. Des certificateurs adeptes de la « marque parapluie » ont inventés le « titre RNCP parapluie » en abritant leurs diverses offres de formation — présentées sous formes de « spécialités » ou de « métiers » inscrits à leurs catalogues — sous un même numéro de titre. Croyant avoir acheté un produit spécifique correspondant à un niveau de salaire, les divers clients se retrouvent en fin de cursus avec un même numéro de titre RNCP accompagné d’un diplôme maison, à la dénomination satisfaisante, sans la moindre valeur académique. Il est ainsi « vendu » un niveau de titre accompagné d’un emballage publicitaire. Le sommet semble être atteint avec l’invention du « titre RNCP sur roulettes ». En cas de perte d’une certification, pourquoi la louer à un concurrent quand il suffit de trouver un titre valide et ressemblant dans une autre entité de son groupe d’enseignement et de formation voire dans son « réseau » pour remplacer le titre perdu ? Lors du renouvellement d’un contrat d’alternance, il suffira de changer le numéro RNCP afin de continuer à bénéficier du financement de l’OPCO correspondant. Le procédé est le même que le « titre parapluie » et tout aussi scandaleux. France compétences dans son lien d’information Votre futur diplôme est-il reconnu par l’État ? indique : Un organisme de formation peut dénommer sa formation différemment que le nom de la certification, mais la formation doit être directement en lien avec elle. Une dénomination significativement plus large ou plus restreinte doit vous interroger, tout comme si la formation couvre un autre champ professionnel. N’oubliez pas aussi que c’est la dénomination de la certification qui sera la seule à avoir de la valeur quand vous serez en recherche d’emploi. L’on peut s’étonner que France compétences autorise de fait l’usage d’une dénomination autre que celle de la certification.
2.2 Le Répertoire Spécifique et la constitution d’un Oligopole
Après la gestion des Titres RNCP par France Compétences, passons à celle du Répertoire Spécifique en prenant le cas exemplaire du code NSF326 « Informatique ».
Précisons que : « Sont enregistrées pour une durée maximale de cinq ans, dans un répertoire spécifique établi par France compétences, sur demande des ministères et organismes certificateurs les ayant créées et après avis conforme de la commission de France compétences en charge de la certification professionnelle, les certifications et habilitations correspondant à des compétences professionnelles complémentaires aux certifications professionnelles. Ces certifications et habilitations peuvent, le cas échéant, faire l’objet de correspondances avec des blocs de compétences de certifications professionnelles. » (Art. L6113-6 C. T.)
Il existe 136 certifications en informatique (code NSF 326) inscrites au Répertoire Spécifique en juillet 2024. Ces 136 certifications actives sont détenues par 56 certificateurs. Parmi ces 56 organismes certificateurs, 6 ne respectent pas les exigences de France Compétences, dans la mesure où leurs certifications ne disposent pas d’un vrai jury d’examen humain et sont fondées sur des QCM corrigés automatiquement.
Ces exigences sont pourtant clairement exprimées dans le « Guide Méthodologique d’enregistrement au Répertoire Spécifique » publié par France Compétences, dans lequel on peut lire : « Seront attendus ici des documents pouvant rendre compte, notamment, des aspects suivants, en fonction de la nature du certificateur ou du réseau : La composition du jury (et notamment la représentation des professionnels en son sein), la procédure d’habilitation du jury ; etc. » (Cf. p. 14).
« Un candidat doit être évalué par un jury composé, a minima, de deux membres sans aucun lien professionnel ou personnel avec le candidat. La composition du jury doit garantir son indépendance pleine et entière et prévenir d’éventuels conflits d’intérêts. Un minimum de 50 % de ses membres doit être extérieur à l’organisme certificateur (ou aux co-certificateurs du réseau) et à celui qui a assuré la formation (ou ceux qui sont habilités par le certificateur à assurer la formation).
Pour les certifications dont l’objet et les compétences visées sont en adéquation avec cette modalité d’évaluation, l’évaluation peut se faire exclusivement par écrit (par exemple, tests de langues ou relatifs aux logiciels informatiques). (Cf. p. 17).
Parmi ces 6 certificateurs, trois sont anecdotiques : Le GIE PIX regroupant plusieurs ministères et organismes publics est titulaire de la certification gratuite PIX destinée aux collégiens et lycéens ; Microsoft avec 6 certifications, a vendu 2.198 certifications via le CPF en deux ans ; Amazon avec 9 certifications, a vendu 247 certifications via le CPF en deux ans.
Il reste 3 grands organismes certificateurs qui se partagent le marché, à savoir : ISOGRAD : 70.333 certifications vendues via le CPF en deux ans avec 16 certifications en informatique ; EURO APTITUDES (détenue à 50% par le président des « Acteurs de la Compétence ») : 39.285 certifications vendues via le CPF en deux ans avec 8 certifications en informatique ; EDITIONS ENI : 30.858 certificats vendues via le CPF en deux ans avec 12 certifications en informatique .
Ces 3 sociétés s’accaparent ce marché lucratif en bénéficiant de la manne du CPF avec plus de 94% des certifications en informatique soit plus de 20% du marché total des certifications financées via le CPF !
Avec plus de 94% des ventes, ces trois sociétés se partagent le marché des certifications en informatique (NSF326) ; leurs certifications, fondées sur de simples QCM en ligne, ne respectent pas les exigences de France Compétences (présence d’un jury et de vraies épreuves pratiques) ; leurs certifications sont pourtant renouvelées alors qu’elles ne respectent pas les exigences auxquelles sont soumis les nouveaux organismes certificateurs.
Ce cas illustre le problème de l’organisation en oligopoles des marchés de l’alternance et du « Compte personnel de formation » CPF ainsi que du fonctionnement de la Commission Nationale de la Certification Professionnelle. Une commission qui, avec ses représentants des organisations professionnelles employeurs, semble favoriser de fait le trio gagnant.
N’oublions pas l’action de France Compétences qui d’une part impose aux nouveaux organismes certificateurs d’avoir un jury d’examen et de vraies épreuves pratiques, d’autre part semble se désintéresser des décisions prises par la CNCP de renouvellement et de validation de nouvelles certifications qui ne respectent pas ces exigences.
La concurrence est pour le moins faussée. Nous retrouvons les mêmes dérives qu’avec les titres RNCP — prime à la taille des certificateurs, organisation en réseau — devons-nous en être étonnés ?
2.3 Quelle régulation pour France compétences ?
France compétences semble minorer son rôle de régulation qui est pourtant l’une de ses principales missions. La loi encadre précisément l’obligation de contrôle de France compétences. L’article R6113-14-1 du Code du Travail dispose : Les ministères et organismes certificateurs s’assurent que les informations communiquées au public relatives aux certifications professionnelles, aux certifications ou aux habilitations enregistrées dans les répertoires nationaux sont conformes aux informations transmises au directeur général de France compétences pour l’appréciation des critères d’examen fixés aux articles R. 6113-9 et R. 6113-11, que ces informations soient transmises par leurs soins ou par les organismes qu’ils habilitent pour préparer à acquérir, évaluer ou délivrer ces certifications professionnelles, certifications ou habilitations. Tout puissant, le Directeur général de France compétences via l’article R6113-17 C.T. peut, notamment, s’assurer de la condition d’honorabilité ; adresser un rapport d’observations à l’organisme indélicat ; prononcer la suspension ou le retrait des répertoires nationaux de certaines ou de l’ensemble des certifications professionnelles ou certifications ou habilitations délivrées par l’organisme ou le ministère concerné, voire l’assortir d’une interdiction de présenter un nouveau projet de certification professionnelle ou de certification ou habilitation pendant un délai d’un an. Quid de l’ampleur des contrôles et de leurs méthodes ?
En consultant le Rapport d’activité 2021 de France compétences on peut trouver sur la politique de contrôle des certificateurs, la mise en demeure de 52 d’entre eux : Elles portaient principalement sur le défaut de déclaration des partenaires ou sur une communication dysfonctionnelle quant à la certification ou aux formations préparant à celle-ci. Une partie de ces problématiques de communication traduisent une mise en œuvre de la certification significativement différente du cadre initialement prévu. On apprécie l’euphémisme « communication dysfonctionnelle ». France compétences ne peut limiter son contrôle du qualitatif à quelques « sondages » numériques, mises en demeure et à l’édition de notes voire d’un FAQ.
Il viendra un temps où les apprenants et les employeurs vérifieront la réalité du métier avancé sur les sites marchands des « écoles » et/ou sur leurs « diplômes » avec le descriptif du titre RNCP ! Les associations de consommateurs vont sans doute s’emparer de cette problématique qui relève, nous semble-t-il, du délit de tromperie (Code de la consommation L441-1) dont la réalisation ou tentative sont punis d’une peine d’emprisonnement de trois ans et d’une amende de 300.000 euros (Code de la consommation L454-1) et plus vraisemblablement, car commis en bande organisée, d’une peine d’emprisonnement de sept ans et d’une amende de 750.000 euros (Code de la consommation L454-3). Elles pourraient aussi s’intéresser aux salaires que font miroiter aux « prospects » les « commerciaux » de ce secteur particulièrement lucratif avec des taux de marge nette à 2 chiffres sans oublier : l’éventuelle non-indication de « l’inactivité » de la certification sur les divers supports publicitaires ou un usage abusif du logo laissant accroire que la plupart des formations proposées bénéficient du titre.
Le dernier rapport indique : En 2023, 45 procédures de contrôle ont été menées, aboutissant à 20 mises en demeure et 15 demandes de pièces à des organismes certificateurs, au-delà des signalements effectués aux financeurs et acteurs du contrôle. Ces contrôles ont révélé des non-conformités, principalement liées à une communication défaillante sur la certification ou les formations préparant à celle-ci. (…) S’il convient de noter une montée en compétence (sic) d’une majorité de certificateurs dans la maîtrise de leur rôle, notamment dans le pilotage des réseaux d’organismes habilités à former, de nouvelles problématiques ont émergé en 2023. Parmi celles-ci, la commercialisation de blocs de compétences au détriment de la certification, présente notamment dans des proportions plus importantes pour les certifications enregistrées au RNCP, la proportion étant plus faible pour les certifications enregistrées au RS.
En filigrane, les « certificateurs » et leur « montée en compétence » restent bien « légers ». Ils sont juge et partie, et de nouveaux « packages » de formation sans aucune valeur sont commercialisés.
Plus intéressant : La sollicitation de France compétences par d’autres corps de contrôle a également fortement augmenté en 2023. Ainsi, les réponses à des droits de communication par les autres corps de contrôle de l’État (Services régionaux de contrôle du ministère du Travail, Police judiciaire, etc.) ont augmenté de 200 % en 2023. Cela induit l’augmentation considérable des plaintes auprès de services de l’État des « clients » trompés et floués.
En bref, les « dérives » se poursuivent et France compétences est sous le feu des autres corps de contrôle de l’État qui semblent suppléer à son manque « d’efficacité », d’empressement à utiliser l’article 40 du code de procédure pénale.
Rappelons que l’article 40 du code de procédure pénale dispose : Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. Placée sous la tutelle du ministère en charge de la formation professionnelle, France compétences, institution nationale publique dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière est, sans nul doute, une autorité constituée (article L6123-5 C.T.) qui doit se conformer aux obligations de l’article 40 et non se contenter d’un simple lien d’information et « notamment » de mises en demeure.
Gageons que la Presse nationale et les organisations de consommateurs mais aussi la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes et les Direction départementale de la protection des populations vont s’emparer plus avant de cette funeste problématique ou la gestion quantitative de France compétences et de la marque de certification Qualiopi se fait au détriment du qualitatif. Une gestion qui va de fait à l’encontre de l’enseignement et de la formation, des formateurs et des enseignants, des apprenants.
3. La précarité des enseignants et formateurs
Quid de la qualité de l’exercice du métier des enseignants et formateurs dans des organismes de formation sans formateurs ? Quid de l’abus de CDDU, du recours massif à la facturation et au micro-entreprenariat imposé ? Quid des enseignants dont on met en avant le titre de « Docteur » et les publications pour avancer l’excellence de la formation et le montage des dossiers de labellisation et/ou de certification voire de visas quand les dits enseignants ne sont pas rémunérés en conséquence et ne participent aucunement à la définition du modèle pédagogique ?
La financiarisation encore et toujours
Selon le ministère de l’éducation nationale, le nombre d’étudiants dans l’enseignement privé a augmenté de 60 % depuis 2011 contre 16 % dans le Public. Dans les écoles de commerce, cette croissance a été deux fois plus rapide malgré une hausse fulgurante des frais de scolarité. Selon Le Parisien ces frais auraient doublé en 10 ans.
Cette très forte croissance du nombre d’étudiants et des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur privé nous amène à nous intéresser aux conditions de travail des enseignants dans ces établissements officiellement indépendants et à caractère associatif non-commercial suivant le statut juridique des associations Loi de 1901.
Des enseignants précaires et indispensables
Un premier constat : la croissance forte, stable et soutenue du nombre d’étudiants dans les écoles de commerce s’est pourtant accompagnée par une précarisation de masse et une généralisation des contrats courts pour la majorité du personnel enseignant.
Quelques exemples : à l’EDHEC, si le nombre d’étudiants a été multiplié par dix en trente ans (passant de 700 en 1988, à 7.000 en 2018), le nombre et la proportion d’enseignants sous contrats courts et précaires a lui aussi fortement augmenté pour atteindre plus de 700 par an en 2021 selon le HCERES alors que le nombre d’enseignants en CDI ne dépasse pas les 175 ; même chose du côté de Skema Business School avec 600 enseignants précaires par an pour environ 150 enseignants permanents ; pour l’emlyon Business school, une école devenue S.A. en 2018 pour s’adapter à cette tendance et a présent rattachée, après une gestion calamiteuse, à Galileo Global Education avec les apports en capital de BPI France et de la CCI Lyon Métropole Saint-Etienne Roanne comme actionnaire majoritaire, le nombre d’enseignants précaires est lui aussi de 700 par an selon le HCERES pour 172 enseignants permanents en CDI. Le budget annuel (ou chiffre d’affaires) de chacune de ces trois écoles dépasse les 100 millions d’euros.
Selon les brochures des écoles, ces enseignants précaires sont tour à tour présentés comme « vacataires », « chargé d’enseignement », « intervenants », « consultants », « non-permanents » ou encore selon le terme américain de adjuncts. Autant d’appellations fantaisistes absentes du code du travail et de la CCN EPI.
La charge annuelle des enseignants permanents dépasse rarement les 180 heures par an dans la plupart des écoles. Un certain nombre d’écoles de commerce ont d’ailleurs signé des accords d’entreprise qui définissent le temps de travail des enseignants-chercheurs de manière « plus généreuse » et bien en deçà des plafonds de la convention collective.
Conséquence ? Il n’est pas rare de rencontrer des enseignants sous contrats précaires dont la charge d’enseignement annuel est plus importante que celles d’un collègue enseignant permanent à temps plein, certes doté d’un temps dédié aux activités de recherche.
Les critiques très modérées de l’État
Bien qu’indépendantes, ces écoles n’en ont pas moins besoin du visa du MESR pour pouvoir accorder des diplômes reconnus équivalents aux titres de licence ou de master Universitaires. Pour les écoles de commerce, c’est la CEFDG mise en place par le ministère de l’enseignement supérieur qui a pour missions d’organiser les modalités de contrôle de la qualité des formations. Le cahier des charges pour ce visa de l’état est clair : tout programme doit justifier que 50% du volume horaire de cours en sciences de Gestion soit assuré par des professeurs permanents. Est-ce le cas dans chacune de ces écoles ?
Un simple calcul arithmétique sur la base des ratios du nombre d’étudiants par classe et du nombre d’étudiants par enseignant, permet vite de comprendre que les enseignants précaires assurent la majorité des heures d’enseignement dans ces écoles. Contrairement aux universités publiques, ces écoles ont pourtant les moyens d’offrir à leurs étudiants des enseignants qui peuvent se consacrer pleinement à leur travail d’enseignant. Cette politique pose la question fondamentale des objectifs réels des directions de ces écoles.
Le déséquilibre entre enseignants permanents (en CDI) et enseignants précaires dans plusieurs de ces écoles a fait l’objet de quelques observations ou critiques très modérées dans les rapports d’évaluation de la CEFDG et du HCERES.
Abus de CDD et hausse des frais de scolarité : des arguments douteux
La forte hausse du nombre d’étudiants en école de commerce a entraîné une explosion des frais de scolarité dans une pure logique d’offre et de demande. En seulement 4 ans, les frais de scolarité sont en moyenne 28% plus élevés qu’en 2015. À tel point que le Magazine l’Étudiant, pourtant un partenaire média et événementiel de toutes ces écoles et adepte du publireportage, s’interroge dans son édition du 5 janvier 2023 : « jusqu’où les frais de scolarité en écoles de commerce vont-t-ils s’envoler ? Ainsi, à Rennes Business school on constate une augmentation de 53% de frais d’inscription, passant de 8.967 euros en 2015 à 13.678 euros en 2022.
Le hic ? La plupart de ces écoles sont sous statut association Loi 1901 à but non lucratif !
Pour tenter de justifier ces hausses vertigineuses des frais d’inscription certains directeurs d’école avancent des motifs douteux voire farfelus : « on a du faire un rattrapage » ; le coût des accréditations ; le désengagement des chambres de commerce, sans fournir plus de détails sur le coût réel de gestion de ces écoles.
Un autre directeur d’une école de l’Est de la France avance un autre chiffre invraisemblable du coût de la numérisation à hauteur de 50 millions sur 5 ans. Pourtant, il est de notoriété publique que les programmes en science sociales et humaines n’exigent pas des investissements importants en capital.
Le filon du Bachelor
L’image sélective des écoles de commerce est aussi à présent écornée avec la généralisation des programmes Bachelors, des programmes accessibles sur dossier sans passer par la case concours et classe préparatoires ; l’explosion des effectifs étudiants de ces écoles est en partie liée au succès de ces Bachelors. Même la prestigieuse HEC Paris a finalement annoncé en janvier 2023 s’ouvrir à ces Bachelors. Pourtant, obtenir le label HEC Paris sur son CV ne sera pas pour autant plus abordable … les frais d’inscription en Bachelor devraient se situer au-dessus de 14.000 euros par an.
Doctorats non accrédites et primes à la publication
Selon le Ministère de l’enseignement supérieur seules deux écoles de commerce sont habilitées à délivrer le titre de doctorat, l’ESCP et HEC Paris. L’absence de cet agrément n’empêche pourtant pas plusieurs business school françaises de proposer voire de commercialiser des doctorats sous l’appellation anglo-saxonne de « PhD ». Si leur statut d’établissement privé indépendant leur donne plus de liberté, le fait que ces établissements peuvent recevoir des subventions ou des fonds publics interroge. Une des différences majeures des business schools françaises avec les business schools anglaises ou américaines est qu’elles ne sont pour la plupart pas rattachées à des universités. Contrairement aux business schools anglo-saxonnes, les écoles de commerce françaises sont pour la plupart historiquement rattachées aux chambres de commerce ou aux instituts d’enseignement catholiques privés. La recherche scientifique n’est donc pas dans leur ADN (à l’exception de quelques écoles telles que HEC Paris ou l’INSEAD). Peu importe ! Pour pouvoir être accrédité à l’international, plusieurs écoles n’hésitent plus à offrir des primes à la publication scientifique ou recruter à grand frais des chercheurs actifs étrangers, faisant de la publication d’article scientifique une fin en soi, sans pourtant avoir le droit d’accorder de doctorat français ni de créer des laboratoires de recherche. Cette « folie des grandeurs » des écoles de commerce a fini par attirer l’attention des élus. Ainsi dans une question à l’attention de la ministre de l’enseignement supérieur en date du 23/02/2033 le sénateur Yves Détraigne interpelle la Ministre sur l’existence de rapports défavorables de la cour des comptes tandis que la DGCCRF attire son attention sur des « pratiques commerciales trompeuses » dans l’enseignement supérieur privé.
Une financiarisation croissante du secteur
Malgré leur statut associatif ou consulaire, les médias n’hésitent plus à parler de « chiffre d’affaires » ou « d’acteurs du marché » pour ces écoles qui se sont pour la plupart dotée d’équipes Marketing en charge de veiller à leur image, à leur attractivité et au développement de leur marque notamment dans des médias « partenaires ».
SI la plupart de ces écoles sont encore sous statut associatif ou consulaire, un nombre croissant a vu entrer dans leur capital des fonds de pension, des fonds d’investissement. À tel point que même l’Express (04/11/2020) exprime une crainte de « financiarisation » du secteur. Pourtant cette tendance avait déjà commencé en 2014 quand le fonds de private equity Apax Partners avait racheté le groupe INSEEC, avant que l’école ne soit reprise par le fonds Cinven en 2019. D’autres groupes d’enseignement privé tels que IONIS ou Galileo Global Education ont déjà fait franchi le pas du statut associatif vers le commercial avec des montages juridiques parfois complexes entre SCI, SAS et certaines écoles du groupe encore sous statut associatif ou consulaire. Galileo Global Education encore — après emlyon business school avec Guillaume Pepy en président du conseil de surveillance — tente de construire aujourd’hui un partenariat avec ICN Business school (détentrice des triples labels internationaux EQUIS, EPAS, AACSB et liée par des conventions avec l’Université de Lorraine) suite aux dérives de sa gestion financière. L’arrivée de ces fonds d’investissement dans un enseignement — certes privé mais agrée par l’État — risque de voir s’accentuer la précarisation du travail, ainsi que le développement des enseignements et des diplômes en ligne, accompagnés par une forte hausse des budgets consacrés aux équipes de communication et de Marketing au détriment des enseignants et de la qualité pédagogique.
Est-il temps de remettre en cause l’exonération fiscale des revenus et des patrimoines des écoles de commerce privées ?
Si les directions des écoles de commerce pensent tout le contraire et font du lobbying pour réclamer des crédits d’impôts sur les frais de scolarité payés par les étudiants ou leurs parents, la question de l’exonération fiscale mérite d’être posée, dans un secteur devenu incontestablement concurrentiel.
En effet, le principe de l’exonération d’impôts pour une association relevant de la loi de 1901 est clair ; l’administration retient les critères suivants :
- L ’association doit avoir une gestion désintéressée. Est-ce encore le cas pour la plupart de ces écoles ?
- Son activité ne doit pas venir faire concurrence au secteur commercial. De nombreuses écoles ne répondent visiblement plus à ce critère puisque leurs directions parlent ouvertement de marché et de concurrence.
- L’association doit avoir un autre but que de partager des bénéfices. L’entrée au capital de ces écoles de fonds de pensions et d’investissement remet clairement en cause ce critère.
- L’association ne doit pas avoir de relations privilégiées avec les entreprises. Ce critère n’est visiblement pas plus respecté.
De manière générale, la financiarisation de l’enseignement pose des questions fondamentales telles que l’accès gratuit à l’éducation et à la formation qui est un droit constitutionnel, le rôle de contrôle de l’État dans un environnement instable et hyper-concurrentiel, la précarisation des enseignants et la porosité du public et du privé. Une stratégie des groupes financiarisés consiste à rejoindre une COMUE, communautés d’universités et établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel. Citons en guise d’exemple le cas de « Paris school of business » du groupe international GALILEO qui a rejoint « Hesam Université ». Le statut de COMUE a été créé par la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche du 22 juillet 2013. Ces vastes regroupements à la mode, contribuent à institutionnaliser la porosité Public/Privé chère à nos dirigeants convertis à la doxa ultra-libérale qui ont en ligne de mire le « classement de Shanghai » et aux investisseurs du privé soucieux d’obtenir la reconnaissance universitaire au niveau doctoral. L’hybridation Public/privé est en œuvre avec le financement doctoral et ses formules du « doctorat industriel européen » ou des « conventions industrielles de formation par la recherche » CIFRE. Ne mésestimons pas le phénomène des enseignants-chercheurs du public qui viennent chercher un complément de salaire dans le privé et, qu’ils le veuillent ou non, apportent leurs statuts de maître de conférence ou de professeur à ces groupes financiarisés prédateurs qui n’ont comme seul objectif de s’accaparer une part grandissante de l’enseignement supérieur.
Pour mieux lutter contre la financiarisation de l’enseignement supérieur, rappelons systématiquement à nos interlocuteurs institutionnels l’article 13 du Préambule de la Constitution de 1946 : La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. Rappelons-leur, aussi, que le Baccalauréat est un diplôme national qui ouvre de droit l’accès au premier cycle de l’enseignement supérieur.
Bien-être, Liberté, Solidarité.