Répertoire Spécifique : le cas du code NSF 326 « Informatique »

De la constitution d’un Oligopole

 

Après la gestion des Titres RNCP par France Compétences, nous nous intéressons à celle du Répertoire Spécifique en prenant le cas exemplaire du code NSF326 « Informatique ».
Précisons que : « Sont enregistrées pour une durée maximale de cinq ans, dans un répertoire spécifique établi par France compétences, sur demande des ministères et organismes certificateurs les ayant créées et après avis conforme de la commission de France compétences en charge de la certification professionnelle, les certifications et habilitations correspondant à des compétences professionnelles complémentaires aux certifications professionnelles. Ces certifications et habilitations peuvent, le cas échéant, faire l’objet de correspondances avec des blocs de compétences de certifications professionnelles. » (Art. L6113-6 C. T.)

Il existe 136 certifications en informatique (code NSF 326) inscrites au Répertoire Spécifique en juillet 2024. Ces 136 certifications actives sont détenues par 56 certificateurs. Parmi ces 56 organismes certificateurs, 6 ne respectent pas les exigences de France Compétences, dans la mesure où leurs certifications ne disposent pas d’un vrai jury d’examen humain et sont fondées sur des QCM corrigés automatiquement.

Ces exigences sont pourtant clairement exprimées dans le « Guide Méthodologique d’enregistrement au Répertoire Spécifique » publié par France Compétences, dans lequel on peut lire :  « Seront attendus ici des documents pouvant rendre compte, notamment, des aspects suivants, en fonction de la nature du certificateur ou du réseau : La composition du jury (et notamment la représentation des professionnels en son sein), la procédure d’habilitation du jury ; etc. » (Cf. p. 14).
« Un candidat doit être évalué par un jury composé, a minima, de deux membres sans aucun lien professionnel ou personnel avec le candidat. La composition du jury doit garantir son indépendance pleine et entière et prévenir d’éventuels conflit dʼintérêts. Un minimum de 50 % de ses membres doit être extérieur à l’organisme certificateur (ou aux co-certificateurs du réseau) et à celui qui a assuré la formation (ou ceux qui sont habilités par le certificateur à assurer la formation).
Pour les certifications dont l’objet et les compétences visées sont en adéquation avec cette modalité d’évaluation, l’évaluation peut se faire exclusivement par écrit (par exemple, tests de langues ou relatifs aux logiciels informatiques). (Cf. p. 17).

Parmi ces 6 certificateurs, trois sont anecdotiques : Le GIE PIX regroupant plusieurs ministères et organismes publics est titulaire de la certification gratuite PIX destinée aux collégiens et lycéens ; Microsoft avec 6 certifications, a vendu 2.198 certifications via le CPF en deux ans ; Amazon avec 9 certifications, a vendu 247 certifications via le CPF en deux ans.

Il reste 3 grands organismes certificateurs qui se partagent le marché, à savoir : ISOGRAD : 70.333 certifications vendues via le CPF en deux ans avec 16 certifications en informatique ; EURO APTITUDES (détenue à 50% par le président des « Acteurs de la Compétence ») : 39.285 certifications vendues via le CPF en deux ans avec 8 certifications en informatique  ; EDITIONS ENI : 30.858 certificats vendues via le CPF en deux ans avec 12 certifications en informatique .

Ces 3 sociétés s’accaparent ce marché lucratif en bénéficiant de la manne du CPF avec plus de 94% des certifications en informatique soit plus de 20% du marché total des certifications financées via le CPF !

En guise d’illustration : les données 2023

Juillet 2023 :
– 11.439 certifications vendues (NSF326) sur 40.718 certifications CPF, soit 28,09% des certifications financées par le CPF
– 3 sociétés avec leur portefeuille de certifications représentent 96% :
– EURO APTITUDES (6.093 ventes) soit 53,3%
– ISOGRAD (2.835 ventes) soit 24,8%
– EDITIONS ENI (2.053 ventes) soit 17,9%

Septembre 2023 :
– 11.148 certifications vendues (NSF326) sur 50.952 certifications CPF, soit 21,88% des certifications financées par le CPF
– 3 sociétés avec leur portefeuille de certifications représentent 94,6% :
– EURO APTITUDES (5155 ventes) soit 46,2%
– ISOGRAD (3512 ventes) soit 31,5%
– EDITIONS ENI (1887 ventes) soit 16,9%

Novembre 2023 :
– 10.664 certifications vendues (NSF326) sur 49.365 certifications CPF, soit 21,60% des certifications financées par le CPF.
– 3 sociétés avec leur portefeuille de certifications représentent 94% :
– EURO APTITUDES (4.610 ventes) soit 43,2%
– ISOGRAD (3.856 ventes) soit 36,2%
– EDITIONS ENI (1.553 ventes) soit 14,6%

Source : fichier CSV open data des entrées et sorties en formation de la Caisse des dépôts et Consignations.

Avec plus de 94% des ventes, ces trois sociétés se partagent le marché des certifications en informatique (NSF326) ; leurs certifications, fondées sur de simples QCM en ligne, ne respectent pas les exigences de France Compétences (présence d’un jury et de vraies épreuves pratiques) ; leurs certifications sont pourtant renouvelées alors qu’elles ne respectent pas les exigences auxquelles sont soumis les nouveaux organismes certificateurs.

Ce cas illustre le problème de l’organisation en oligopoles des marchés de l’alternance et du « Compte personnel de formation » CPF ainsi que du fonctionnement de la Commission Nationale de la Certification Professionnelle. Une commission qui, avec ses représentants des organisations professionnelles employeurs, semble favoriser de fait le trio gagnant.
N’oublions pas l’action de France Compétences qui d’une part impose aux nouveaux organismes certificateurs d’avoir un jury d’examen et de vraies épreuves pratiques, d’autre part semble se désintéresser des décisions prises par la CNCP de renouvellement et de validation de nouvelles certifications qui ne respectent pas ces exigences.
La concurrence est pour le moins faussée. Nous retrouvons les mêmes dérives qu’avec les titres RNCP — prime à la taille des certificateurs, organisation en réseau — devons-nous en être étonnés ?

Pour aller plus loin :
Titres RNCP : de la tromperie
Enseignement privé lucratif et financiarisation
Assemblée nationale : audition du SNPEFP-CGT
Privé lucratif : le rapport de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation
Audition SNPEFP-CGT : Région Île-de-France
Enseignement supérieur privé : Superprofits et précarisation de masse

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