Entrave au droit de grève dans les OF : l’antidote

Un discours bien rôdé sous des atours de « bienveillance »

 

Aujourd’hui les salariés formateurs dans les organismes de formation (OF dans la suite du texte) font souvent l’objet de tentatives d’entrave au droit de grève de la part de leurs employeurs. Ces mêmes employeurs se targuent pourtant souvent par ailleurs du rôle « social » joué par leurs organismes.

Nous vous proposons d’analyser point par point ces discours. Il s’agit des arguments déployés dans les OF associatifs qui assurent une offre de formation linguistique et de remise à niveau pour des demandeurs d’emploi ou des salariés.

Ces tentatives de dissuasion s’exercent à travers un discours bien rôdé qui culpabilise les salariés. Dans les faits, les employeurs tentent en tout premier lieu de protéger les intérêts économiques de leurs structures quitte à ce que cela se fasse au détriment des salariés.

Rappelons-nous que le droit de grève est un droit fondamental gagné de haute lutte, une liberté de chaque travailleur, inscrit dans la Constitution. Il n’appartient pas aux employeurs de modifier ou d’aménager ce droit

Les arguments démontés point par point !

  1. Vous devez nous prévenir plusieurs jours avant la grève pour que l’on puisse vous remplacer sur votre groupe en formation.

Faux. Le droit privé définit le fait que les salariés ne sont pas dans l’obligation d’avertir leurs employeurs, ni avant, ni pendant, ni après. C’est à l’employeur de constater le jour même l’absence du salarié qui sera alors considéré gréviste en l’absence d’autre motif.

La seule obligation légale est que l’employeur soit informé des revendications qui motivent votre arrêt de travail. Dans le cas de la mobilisation sur la réforme des retraites : étant donné qu’il s’agit d’une grève générale et nationale, il n’y a pas nécessité de lui envoyer personnellement vos revendications. Dans la pratique, l’employeur demande aux salariés les jours suivant la grève quelles étaient les raisons de leur absence, les salariés indiquent alors qu’ils étaient en grève.

  1. En faisant grève, vous allez priver vos stagiaires de leurs rémunérations de formation (RFPE ou RSFP).

Faux. Ce sont les formateurs qui font grève, pas leurs stagiaires en formation (sauf s’ils le décident). Le stagiaire ne peut donc pas être tenu pour responsable de la non-exécution de la formation et ne peut en subir de conséquence en termes de rémunérations (ex. pour le compte CPF). Dans le cas où une séance de formation ne peut pas être assurée par l’OF, celui-ci peut proposer différents aménagements, par exemple une séance de remplacement.

  1. En faisant grève, vous allez priver vos stagiaires salariés d’une journée de salaire.

Faux. Idem. De plus, le stagiaire salarié peut éventuellement retourner sur son lieu de travail.

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ZOOM sur la rhétorique des employeurs

Dans les arguments ci-dessus, les employeurs culpabilisent les salariés en s’appuyant sur leur conscience professionnelle, leur dévouement. Cette rhétorique qu’on peut qualifier d’humanitariste, encourage les salariés à faire passer un soi-disant intérêt immédiat des stagiaires en formation avant le leur et avant le droit du travail.

Nos employeurs peuvent même utiliser dans certains cas la précarité des stagiaires comme moyen pour faire renoncer les salariés à exercer leur droit de grève. « Arrêtez de vous plaindre, ceux qui sont vraiment dans la galère ce sont les bénéficiaires. » Rappelons-leur qu’on ne peut pas contourner le droit du travail en utilisant le sens moral des salariés.

Si les salariés se mettent en grève, c’est aussi un acte de solidarité ! À travers la grève, nous visons le bien commun, y compris pour les stagiaires en formation. Comme nous, ils occupent des emplois pénibles, précaires et sous-payés, eux aussi subiront les conséquences délétères de la contre-réforme des retraites. Le droit du travail est là pour défendre TOUS les salariés. Il ne se marchande pas. Et il n’y a pas à mettre dans la balance d’un côté le droit d’un salarié d’un OF et de l’autre celui d’un salarié stagiaire ou demandeur d’emploi en formation.

Faire grève sert à tout le monde, car en régime capitaliste, le sort de tous les travailleurs, quelque soit leur branche d’activité ou leur couche sociale est intimement lié. (cf. Antoine Vatan, La situation de la classe laborieuse en France, éditions Delga).

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  1. La grève risque de porter atteinte à notre structure ; si une séance est annulée nous allons devoir verser des pénalités.

Vrai. Mais c’est à l’OF de gérer ce type de situations, qui constitue vraisemblablement un cas de force majeure dans les contrats qu’elle passe. En effet, en cas de force majeure, l’organisme de formation peut être contraint d’annuler et/ou reporter une formation sans que sa responsabilité ne puisse être engagée. À lui également d’organiser des sessions de rattrapage, le cas échéant, pour éviter d’éventuelles pénalités.

De manière plus générale, les intérêts des salariés ne sont pas équivalents à ceux de la structure. Par exemple, si les salaires baissent, la structure y gagne alors que le salarié y perd. Nous ne sommes pas aux mêmes places.

De plus, ce n’est pas aux salariés de porter la responsabilité de l’équilibre budgétaire. Et si vous voulez qu’on assume cette charge mentale et cette responsabilité, donnez-nous les salaires qui vont avec !

  1. Nous ne sommes pas responsables du projet de réforme des retraites, nous ne la soutenons pas d’ailleurs. C’est à vous de vous organiser collectivement pour que la grève ne dérange pas l’activité.

Faux. La grève a pour but de déstabiliser l’économie, de ralentir le pays, et de libérer les salariés pour s’organiser, en vue de soutenir des revendications collectives dans l’intérêt du plus grand nombre. Nous ne pouvons pas exercer notre droit de grève sans accepter aussi que cela dérange la structure. Une grève est faite pour déranger.

De plus, nous, salariés, faisons le sacrifice de notre salaire sur une journée de grève. Si vous, employeur, souteniez réellement le mouvement de grève, vous pourriez commencer par respecter le droit de grève de tous les salariés. On ne vous en demande pas plus.

Nous, salariés, pouvons défendre une autre vision du changement social à travers la mobilisation. Nous devons défendre notre droit de grève à tout prix. Il permet et permettra une lutte collective large et la défense d’une société plus égalitaire.

Alors on ne lâchera rien ! Rendez-vous en manif !

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Pour aller plus loin :
Lilly Zalzett & Stella Fihn, Te plains pas, c’est pas l’usine. L’exploitation en milieu associatif, ed. Niet Editions, 2020.
Antoine Vatan, La Situation de la classe laborieuse en France, ed. Delga, 2022.

 

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