CESI et répression syndicale : le point de Miroir Social

Des syndicats à l’abordage de la messagerie d’entreprise pour informer les salariés confinés

 

Entre des panneaux d’affichage à l’abandon depuis le confinement et un intranet syndical peu visité, certains syndicats prennent le droit d’utiliser la messagerie pour diffuser les informations à tous les salariés, quitte à s’exposer à des sanctions disciplinaires comme cela a été le cas pour deux délégués CGT du CESI. Dans ces circonstances exceptionnelles, où sont les limites du tolérable ?

Informer et entretenir les liens sont des activités essentielles pour les syndicats en ces temps de distanciation. Encore faut-il que ces derniers soient en mesure de le faire savoir à tous les salariés. Ils ne peuvent plus compter sur les panneaux d’affichage obligatoirement disponibles dans des espaces collectifs, aujourd’hui vides, pas plus que dans les zones réservées aux syndicats sur l’intranet, également imposées par la loi, que seuls les salariés les plus motivés sont enclins à consulter. D’où la très vive tentation des syndicats d’annexer la messagerie de l’entreprise, que l’employeur n’est pas tenu de mettre à leur disposition, pour toucher tous les salariés en un seul clic. Rares sont les directions qui en autorisent officiellement la pratique, à l’instar de la MAIF dont le dernier accord sur les moyens du dialogue social permet aux syndicats d’envoyer un e-mail collectif tous les deux mois. Une périodicité pas très compatible avec le besoin actuel. Au CESI (le campus d’enseignement supérieur et de formation professionnelle) qui emploie 850 salariés en équivalents temps plein sur 25 sites, la CGT a décidé d’imposer l’usage en douceur.

Lors du CSE extraordinaire du 24 mars, le syndicat a ainsi informé la direction de sa volonté d’adresser un message à l’ensemble des salariés. Le 25 mars, à 10h42, la DRH a reçu le message intitulé « Lien social » pour information, lequel portait sur le chômage partiel et affichait les coordonnées de tous les élus prêts à répondre aux moindres interrogations. Pas de retour de la DRH. À 11h42, un élu a adressé le message à l’ensemble des salariés en utilisant les sept listes de diffusion régionale du CESI, sans modération a priori, à la différence de la liste de diffusion nationale dans laquelle le message avait été bloqué. Une quinzaine de salariés ont répondu à cet e-mail qualifié de « bienveillant » par la direction qui a laissé passer. De quoi donner des idées à la CFDT qui a adressé un message revendicatif dès lendemain, sans préalablement en informer la direction qui l’a regretté lors du CSE du 27 mars. Le 2 avril, à 16h30, la DRH a été avertie qu’un « lien social n° 2 » allait être adressé par une autre élue à 17h00. Cette fois, la direction a réagi au message joint qui portait sur la pose « imposée » des jours de congés sur le mois d’avril par le management de proximité, en interdisant sa diffusion sous prétexte qu’il était sujet à polémique. Il en a été effectivement appelé à la « responsabilité de chacun, dans un souci commun de bonne gestion de l’entreprise » pour solder leurs congés payés. Selon la DRH, la ligne rouge a été franchie avec un message qui « incitait à la division et non au rassemblement ».

Usage d’exception

« Les circonstances exceptionnelles justifient le recours à la messagerie professionnelle pour informer les salariés, d’autant que le droit ne prévoit pas que l’intranet syndical se substitue à l’obligation des panneaux syndicaux. Les délégués syndicaux du CESI ont pris le soin de préalablement informer la direction du contenu qu’ils allaient adresser par liste de diffusion, comme la législation l’impose sur les panneaux d’affichage, mais sans que cela ne donne pour autant un droit de censure », souligne Christine Fourage, secrétaire générale du Syndicat national du personnel de l’enseignement et de la formation privés (SNPEFP) CGT. Les deux délégués CGT se sont vus notifier un avertissement, contesté tant sur la forme que sur le fond. Ils ont certes contrevenu à la loi (L.2142-6 du code du travail) en procédant à l’envoi d’une information à l’ensemble des salariés mais c’était bien pour exercer leur droit d’information syndicale. La DIRECTE a été informée de l’action engagée, de ses motivations et de la réponse de la direction. En retour, celle-ci a rappelé que l’employeur n’avait pas l’obligation de permettre à une organisation syndicale d’utiliser la messagerie de l’entreprise, tout en précisant qu’« au vu de la situation actuelle, il peut être dommage que les règles de communication ne soient pas assouplies… ».

Selon Philippe Blot, l’un des deux délégués syndicaux CGT sanctionnés, « avant d’envoyer le tract, nous avions bien fait remonter par téléphone au DRH les témoignages de salariés qui illustraient, échanges de messages à l’appui, les pressions exercées par le management de proximité pour qu’ils posent des jours de congés. Ces cas n’ont pas posé de problème à la direction. À partir de là, notre alerte se justifiait sans viser la polémique. Nous n’avons pas pour vocation de devenir les courroies de transmission de la direction ». Quid du droit essentiel à la controverse et à l’alerte ? Qu’est-ce qui permet à une direction de juger du caractère polémique d’un message syndical ? Autant de questions de fond posées par la réaction de la direction alors que l’élu CFDT, lui , n’aurait pas été sanctionné. « La direction se montre prompte à sanctionner alors qu’il n’y avait pas de panneau d’affichage syndical sur les 25 sites du campus il y a encore trois ans », souligne Philippe Blot. Une action intersyndicale serait en préparation pour que la direction assouplisse les règles.

Rodolphe HEIDERLÉ

Avec l’aimable autorisation de « Miroir Social »

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