Claire Marchal : Portrait
Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis journaliste d’investigation et autrice de l’ouvrage Le Cube, révélations sur les dérives de l’enseignement supérieur privé, aux éditions Flammarion.
Ces deux dernières années, j’ai enquêté sur la croissance de l’enseignement supérieur privé lucratif en France. J’ai recueilli plus de 150 témoignages et près de 900 documents confidentiels, dont une grande partie sont internes et confidentiels à l’entreprise leader du secteur, Galileo Global Éducation. Je révèle les dérives d’un secteur dont les objectifs financiers sont atteints au détriment de la qualité pédagogique et des conditions de travail des étudiants et des salariés des écoles.
Pour quelles raisons as-tu enquêter sur le groupe Galiléo ?
Depuis quelques années, on observe une très forte croissance de la part des effectifs étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur privé, et cette croissance est largement favorisée par les inscriptions dans le privé lucratif. Je souhaitais en comprendre les raisons, quels étaient ces groupes, comment ils fonctionnaient.
Galileo est le leader avec plus de 210 000 étudiants inscrits dans environ 70 écoles, dont le Cours Florent, Penninghen, Strate, les écoles ESG, Digital Campus, Studi ou Lisaa. Rapidement après avoir commencé mon travail d’enquête, j’ai obtenu des documents et recueilli des témoignages sur les conditions d’enseignement dans les écoles de ce groupe, présentant des dérives auxquelles je me suis intéressée.
Ton enquête est riche et fouillée, elle a duré deux ans, quels sont les aspects qui t’ont le plus marquée ?
De nombreux étudiants et salariés m’ont témoigné être dans une grande détresse. Du côté des étudiants, beaucoup sont déçus car ils avaient des rêves, ont été attirés dans ces
écoles sur les salons, qui leurs proposaient d’excellentes formations avec des cours de qualité et des taux d’insertion professionnelle très élevés. Or ces étudiants me disent être extrêmement déçus : ils s’endettent pour payer des formations qui coûtent entre 6500 € et 10000 € par an en moyenne, mais certains me disent n’avoir que 10 heures de cours par semaine. J’ai observé dans un certain nombre de formations que les tarifs augmentent chaque année alors que le nombre d’heures de cours ne cesse de diminuer. Ces étudiants peinent à trouver de l’emploi. Certains en sortent très abîmés. En fait, j’ai découvert que les objectifs de rentabilité de la multinationale imposent aux directeurs de faire de l’optimisation sur les frais pédagogiques. En général seuls 20% des frais de scolarité sont dédiés à la pédagogie. Les taux de marge peuvent quant à eux dépasser les 20 ou 30%. Pour les salariés des écoles (directeurs, administratifs et intervenants) cela crée beaucoup de souffrances. Beaucoup partent en claquant la porte, écœurés par leurs conditions de travail. Enfin, ces groupes d’écoles bénéficient d’énormément de fonds publics depuis la réforme de l’apprentissage. Galileo dit avoir bénéficié de 130 millions d’euros en 2022 par exemple. Cela interroge sur les modalités de contrôle et de régulation des institutions publiques.
Selon toi Galileo est-il le seul groupe à avoir de telles pratiques ?
Galileo global éducation n’est pas le seul groupe d’enseignement supérieur privé lucratif. Il y a aussi Omnes éducation ou encore Ionis Éducation. Ces groupes détiennent énormément d’écoles. Je n’ai pas enquêté sur leurs pratiques mais depuis la parution du livre, j’ai recueilli de nouveaux témoignages de personnes ayant travaillé ou ayant été étudiants dans des écoles de ces grands groupes, me disant avoir vécu des expériences similaires.