IFRAC : un marathon de curiosités

Chronologie du marathon judiciaire

Juin 2018 débutait pour les salariés ex-Forget Tours le commencement de la fin : Salaires non payés, cartes péages avalées, valse des huissiers, blocage du centre de Mainvilliers (28) par un fournisseur excédé, grève de stagiaires à Blois découvrant l’absence d’agrément, etc.

Juin 2023 : nouveau report de la procédure devant le tribunal de commerce de Tours avec une nouvelle audience programmée pour le 8 septembre. C’est donc à cette nouvelle date que le tribunal aura à débattre de la mise en cause des deux derniers dirigeants au titre de l’article L.651-2 du Code de commerce. Au plus tôt, avec le délibéré cela donnera un jugement attendu pour la fin septembre (sauf bien entendu s’il n’y a pas un énième report).

L’arrivée en 2024 ? Ce qui repousse d’autant la procédure des 5 salariés restant devant le Conseil de prud’hommes. Heureusement qu’avec la suggestion du défendeur du CGEA, ils ont obtenu un sursis à statuer en attendant le jugement du tribunal de commerce.

Une accumulation de curiosités

Cette initiative d’un avocat de la partie adverse en lieu et place de l’avocat des salariés n’est pas la seule « curiosité » des procédures tourangelles.

      • Vice de procédure dès le départ. L’audience d’ouverture de la procédure collective le 2 octobre 2018 avait été entachée. L’article L.621-1, alinéa 1 du Code de commerce n’a pas été respecté. Alors que le délégué du personnel était présent à l’audience, qu’il s’était fait connaitre et qu’il était mandaté par le personnel pour demander l’octroi des pleins pouvoirs à l’administrateur, le tribunal a statué sur l’ouverture de la procédure sans l’avoir entendu. Le tribunal statue sur l’ouverture de la procédure, après avoir entendu ou dûment appelé en chambre du conseil le débiteur et les représentants du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
      • Rapport d’expertise écarté. La procédure devant le tribunal de commerce de Tours est censée s’appuyer sur le rapport d’audit demandé dès la liquidation par le mandataire. Or nous découvrons par le jugement du tribunal de commerce de Bobigny que ce rapport(1) ne peut être utilisé dans les procédures. L’expertise ordonnée par le tribunal n’a pas été rendue contradictoirement alors que cette exigence avait été mentionnée par le tribunal dans son ordonnance ; le cabinet [en charge de l’expertise] n’a pas interrogé Monsieur COUTURIER sur les comptes et s’est contenté de procéder par simples affirmations.
      • Le manque de coopération entre les mandataires judiciaires en charge de la nébuleuse IFRAC. Celui de la procédure de Créteil pour IFRAC Rungis nous a contacté pour comprendre le dossier dont il avait la charge. Nous lui avons remis un rapport en lieu et place de ses confrères.
      • L’absence d’un abus de bien social (ABS) dans les procédures. Nous avons transmis en mars 2021, les éléments laissant à considérer une fausse facture de 450 000 € au détriment de FORGET IFRAC. Il fut le 1er acte de la reprise, le 16 décembre 2016. Il implique le dirigeant vendeur. Ce dernier est suspecté d’avoir signé un faux en écriture et d’être le principal receleur de la somme détournée. Or cet ABS semble ne pas apparaître dans les procédures.
      • Une suspicion de conflit d’intérêts affectant le cabinet en charge de la défense des salariés. Quinze d’entre eux lui avait confié le soin d’engager une procédure devant le Conseil de Prud’hommes et de les accompagner au pénal. Or ce cabinet était en même temps l’avocat du dirigeant vendeur. Ce dernier est mis en cause à la fois par le mandataire mais aussi par les salariés en tant que receleur soupçonné et complice de l’ABS. Le Conseil de l’Ordre du Barreau de Tours(2), sollicité à cinq reprises pour donner son avis sur la « suspicion » de conflits d’intérêts, n’a toujours pas pris position. Un courrier indique qu’une « décision claire et précise » avait été prise … mais, cette décision n’a jamais été communiquée.

Une 1ère satisfaction

À la différence de celui de Tours, le tribunal de commerce de Bobigny a statué. Deux jugements ont reconnu les fautes de gestion du dirigeant : omission de déclarer la cessation de paiement, comptabilité incomplète et irrégulière, croissance externe inadaptés et gestion fautive de la trésorerie des sociétés IFRAC. Ce qui correspond à l’analyse des salariés sur une forme de pyramide de Ponzi pour se donner l’apparence de présider un groupe en forte expansion. Sur la requête du parquet, le dirigeant a été condamné à 15 ans de faillite personnelle.

Malgré toutes les embûches rencontrées, ces deux premiers jugements laissent espérer que la position des salariés sera enfin reconnue. La liquidation de quatre entreprises sur un marché porteur des formations transport et logistique et la destruction d’une centaine d’emploi ne reposaient sur aucun fondement économique.

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Notes

1. La communication de l’expertise avait été refusée aux salariés au titre des secrets de l’instruction… comme si les agissements fautifs du dirigeant n’étaient pas un secret de polichinelle.

2. Deux avocats du cabinet sont des conseillers de l’Ordre, eux-mêmes anciens bâtonniers et l’un d’entre eux est aussi membre du Conseil national des barreaux.

 

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