Loi d’urgence : décryptage

La loi d’urgence

 

La loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a été adoptée par le Parlement dimanche 22 mars 2020.

Cette loi prévoit entre-autre la création d’un état d’urgence sanitaire (I), et des modifications du code du travail et de la sécurité sociale (II), renvoyées à des ordonnances ultérieures.
 Elle prévoit également un ensemble d’autres mesures concernant les élections municipales, les loyers, les reports de paiement des cotisations sociales qui sera repris dans une note ultérieure.

(NDE : voir en priorité le II)

I- L’état d’urgence sanitaire

Articles 2 et suivants

Pour faciliter la présentation les articles sont présentés sous forme de plan :

1- Qu’est-ce que l’état d’urgence sanitaire ?

La loi d’urgence pour faire face à la crise du Covid-19 crée, de toute pièce un régime juridique d’état d’urgence sanitaire. Cet état d’urgence sanitaire n’a jamais existé auparavant. Il existe une loi de 1955 sur l’état d’urgence, mais elle n’est pas particulièrement prévue pour les cas de crise sanitaire. Elle était plutôt utilisée pour des évènements portant atteinte à la sécurité publique (attentats, guerre d’Algérie, émeutes urbaines …)

Déclarer l’état d’urgence permet de prendre des mesures particulièrement restrictives des libertés individuelles et publiques sans passer par les procédures habituelles, notamment le Parlement. Il faut distinguer deux choses : la création du régime juridique de l’état d’urgence sanitaire et la mise en place concrète de l’état d’urgence aujourd’hui pour le Covid-19.

2- Quelles mesures permettent de prendre l’état d’urgence sanitaire ?

La loi d’urgence crée de nouveaux articles insérés dans le code de la santé publique. Ces articles prévoient que dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire il est possible de :

      • restreindre ou interdire la circulation des personnes et véhicules,
      • interdire aux personnes de sortir de leur domicile sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux et de santé,
      • ordonner des mesures de mise en quarantaine des personnes affectées par le virus,
      • ordonner des maintiens à l’isolement,
      • ordonner la fermeture provisoire d’établissements recevant du public, sauf les établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité,
      • restreindre les rassemblements sur la voie publique ainsi que tout type de réunions,
      • réquisitionner des biens et services « nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire », 
et réquisitionner des personnes nécessaires au fonctionnement de ces services et à l’usage de ces biens. On ne sait pas bien ici s’il s’agit juste des personnels de santé et de police ou tout type de personnels liés aux besoins essentiels des populations (distribution alimentaire par exemple),
      • instaurer des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits nécessaires,
      • instaurer des mesures nécessaires à la mise à disposition des médicaments aux patients,
      • instaurer toute autre mesure limitant la liberté d’entreprendre.

3- Prérogatives renforcées de l’exécutif, rôle mineur du Parlement

a- Déclaration de l’état d’urgence

La loi d’urgence prévoit que l’état d’urgence soit déclaré par décret pris en conseil des ministres. Le rôle du Parlement est réduit à la portion congrue. Celui-ci est simplement informé de la déclaration de l’état d’urgence et des mesures prises, et peut simplement requérir des informations complémentaires.

Un comité scientifique est constitué et ces avis sont rendus publics.

L’état d’urgence peut être déclaré par décret pour un mois. À l’issue de ce mois, le Parlement retrouve son rôle et seul une loi peut décider de prolonger l’état d’urgence. Cependant, dans le cas présent du Covid-19, la loi d’urgence prévoit qu’exceptionnellement l’état d’urgence est déclaré pour deux mois. Au bout de ces deux mois, seule une loi pourra le prolonger. Le gouvernement a donc tout pouvoir de restreindre les libertés pendant deux mois entiers.

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État n’interviennent à aucun moment, tous les contre-pouvoirs au gouvernement sont donc écartés pendant l’état d’urgence.

b- Mise en œuvre des mesures

Pendant la période d’état d’urgence, l’ensemble des mesures listées dans le petit 2 sont prises par le Premier ministre. Une partie des mesures réglementaires et individuelles qui en découlent sont prises par le ministre de la santé.

Mais il est également possible sur habilitation du Premier ministre ou du ministre de la santé de déléguer la prise de ces mesures aux préfets de département. Les préfets pourraient donc prendre seuls des mesures particulièrement attentatoires aux libertés ! Le Parlement n’a aucun rôle en la période.

4- Les sanctions

Le fait de ne pas respecter les réquisitions est puni de 6 mois de prison et 10.000 euros d’amende. Voilà qui permet d’empêcher toute rébellion y compris si les réquisitions se font dans un cadre qui ne respecte pas la protection de la santé des personnels !
Ces sanctions existaient déjà mais étaient limitées aux personnels de santé. Ici, il semble que cela peut concerner toute réquisition pour « lutter contre la catastrophe sanitaire », or on ne sait pas si cette expression recouvre uniquement le domaine de la santé et de la police ou tout type de réquisitions.

Le fait de ne pas respecter toutes autres obligations (confinement, interdiction de circulation, etc.) est passible d’une contravention de 4e classe, soit 135 euros. En cas de récidive dans les 15 jours, amende de 5e classe soit 1.500 euros.

Ce régime juridique a vocation à subsister jusqu’au 1er avril 2021. Les règles ici prévues ne s’appliqueront plus lorsque l’état d’urgence aura pris fin, mais elles ne seront pas pour autant supprimées du code de la santé, elles pourront être réutilisées à chaque fois que l’état d’urgence sanitaire sera à nouveau déclaré par décret. Ce régime juridique ne disparaitra complètement du code de la santé publique que dans un an.

II- Les mesures relatives au droit du travail et de la sécurité sociale

Article 8

Suppression des jours de carence pour tous les arrêts maladie débutant à compter de la date de publication de la loi, et jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire. Et ce, pour tous les assurés sociaux du régime général et du régime agricole, ainsi que pour les fonctionnaires, les militaires et tous ceux qui relèvent de régimes spéciaux de la sécurité sociale (marins, SNCF, banque de France, énergie électrique et gaz …). Il semblerait que cela soit valable quel que soit l’arrêt maladie (pour cause de covid-19, pour arrêt non causé par le covid-19, pour garde d’enfants …).

Article 11 b

Le texte de loi adopté autorise le gouvernement à prendre dans un délai de trois mois (ce qui parait bien long vu l’urgence) des ordonnances qui pourront, si nécessaire, entrer en vigueur le 12 mars, afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de l’épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d’activité ainsi que ses incidences sur l’emploi.

La possibilité de faire entrer en vigueur les mesures dès le 12 mars signifie que les ordonnances pourront être rétroactives, et valider a posteriori certaines actions.

Cette rétroactivité nous arrange sur les indemnités journalières de sécurité sociale qui pourront être rémunérées à hauteur de 90% du brut dès le 12 mars pour tous, mais cela signifie également que l’imposition par l’employeur de jours de RTT, de compte épargne temps et de jours de repos des forfaits jour, avant que cette loi ne soit votée deviennent subitement légaux alors que c’était illégal.

Adaptation du dispositif d’activité partiel, pour faciliter et favoriser son recours. Par rapport au projet initial, il est rajouté la possibilité d’adapter de manière temporaire le régime social applicable aux indemnités versées dans ce cadre (sans que cela soit précisé, on imagine que ça prendra la forme d’exonération de cotisations).

      • L’indemnité complémentaire journalière de la sécurité sociale prévoit des IJSS à 90% du salaire brut, mais uniquement pour les travailleurs qui ont plus d’un an d’ancienneté. Les ordonnances vont certainement supprimer cette condition d’ancienneté. On ne sait en revanche toujours pas si les salariés qui n’ont jamais droit à ces 90% vont pouvoir en bénéficier : intérimaires, saisonniers, travailleurs à domicile et intermittents. La loi ne précise pas quelles seront les adaptations.
      • Congés payés : si un accord d’entreprise ou de branche l’autorise, l’employeur pourra imposer ou modifier les dates d’une partie des congés payés dans la limite de 6 jours ouvrables, en dérogeant aux délais de prévenance et modalité de prise des congés. Le projet initial n’imposait pas la signature d’un accord, et ne limitait pas les congés payés qui pouvaient être imposés à 6 jours. Le texte est donc plus protecteur en l’état même si c’est toujours un recul des droits des salariés.

Lors des débats parlementaires, plusieurs amendements ont proposé d’inscrire dans la loi la limitation dans le temps de la validité de ces mesures, pour qu’elles ne puissent pas être utilisées au-delà de la période d’épidémie.

La Ministre du travail a refusé tous ces amendements en prétendant qu’une telle précision n’était pas nécessaire dans la mesure où ces dispositions seraient, par nature limitées à la période de crise sanitaire.

Il faudra donc être vigilant sur le risque de pérennité de ces mesures faisant reculer les droits des salariés, d’autant plus que le mot « provisoire » qui figurait dans le projet de loi initial, a été supprimé sur projet de loi adoptée.

Si d’autres organisations syndicales se lançaient dans la signature de tels accords, qui constituent un recul des droits des salariés, les camarades devront peser à minima sur le fait que ces accords soient expressément limités dans le temps, à la période liée à la crise sanitaire.

      • jours de repos imposés : possibilité pour l’employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de certains types de jours de repos dont bénéficient les salariés (RTT, des jours de repos prévus dans la convention de forfait, jours de repos affectés sur le compte épargne temps (CET)).

Aujourd’hui si l’accord ou la convention collective ne le prévoit pas expressément, les employeurs n’ont pas le droit d’imposer unilatéralement la date des RTT, jours de CET et de repos forfait jours, et doivent respecter les éventuels délais de prévenance prévus par l’accord.

Suite aux ordonnances, l’employeur n’aura pas à respecter de délai de prévenance. Le projet initial ne concernait que les RTT et les jours affectés sur le CET. Les jours de repos des salariés en forfait ont été rajoutés.À noter que l’article de loi vise également la fonction publique !

      • dérogation aux règles relatives à la durée du travail et aux repos : dans les secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale, l’employeur pourra déroger aux règles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical.

Mesures particulièrement dangereuses … Pas de précision sur la liste de ces secteurs.

Les règles de droit de l’Union européenne sur les durées maximales de travail ne sont pas particulièrement protectrices en la matière et ne constituent donc pas un filet de protection très efficace. Elles prévoient que la durée moyenne du travail sur 7 jours ne doit pas dépasser 48h.

Sur le droit au repos, elles prévoient que les États doivent garantir une période de repos de 35 heures (24+11) sur une période de 7 jours. Malheureusement, la directive prévoit également que le repos peut être réduit à 24h si les conditions objectives, techniques ou d’organisation du travail le justifient.

      • intéressement et participation : les ordonnances pourront modifier les dates limites et les modalités de versement des sommes versées au titre de l’intéressement et de la participation. Cela peut retarder le versement de ces sommes pour les salariés.
      • Prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (dite prime Macron). La loi prévoit de modifier la date limite et les conditions de versement de cette prime. La condition de mise en place d’un accord d’intéressement pourrait être supprimée et la date butoir du 30 juin 2020 (qui est prévue par la loi 2019-1446 du 24 décembre 2019) pourrait être repoussée.

Ce mode de rémunération présente des effets néfastes. Les sommes versées étant partiellement exonérée de cotisations sociales, ce dispositif nuit au financement de la protection sociale. Néanmoins, dans la mesure où ce dispositif permet de verser des primes aux salariés à moindre coût, il est fortement incitatif pour les employeurs.

      • Élections TPE. La loi prévoit d’adapter l’organisation du scrutin permettant de mesurer l’audience dans les TPE. Les dates du scrutin prévu du 23 novembre au 6 décembre 2020 seront probablement repoussées. La définition du corps électoral pourra être modifiée si nécessaire pour tenir compte des nouvelles dates, on ne sait pas ce qu’ils entendent par là.

Comme la désignation des conseillers prud’hommes et des membres des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) s’appuie sur l’audience syndicale et patronale, la durée de leurs mandats pourra être prorogée en conséquence.

      • Médecine du travail. La loi prévoit d’aménager les modalités de l’exercice de leurs missions par les services de santé au travail de leurs missions. Il s’agit notamment du suivi de l’état de santé des travailleurs. Il s’agit également des règles selon lesquelles le suivi de l’état de santé est assuré pour les travailleurs qui n’ont pu, en raison de l’épidémie, bénéficier du suivi prévu par le même code.

Cette mesure appelle la plus grande vigilance quant au risque de pérennisation d’un allégement des obligations de suivi de l’état de santé des travailleurs.

Signalons que l’instruction DGT du 17 mars 2020 relative au fonctionnement des services de santé au travail pendant l’épidémie de Covid-19 a déjà prévu la possibilité pour le médecin du travail de reporter toutes les visites médicales, sauf lorsqu’elles sont indispensables. Pour les salariés dont les activités sont essentielles à la continuité de la vie de la Nation, les visites médicales sont maintenues (visites d’embauche, d’aptitude, de reprise) à l’exception des visites périodiques.

Toutes les visites peuvent être effectuées en téléconsultation en accord avec le salarié. Ici encore on ne sait pas quelles activités seront considérées comme essentielles à la continuité de la vie de la Nation.

      • Comités sociaux et économiques. La loi prévoit de modifier les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du CSE, pour leur permettre d’émettre les avis requis dans les délais impartis. Il serait envisagé de systématiser le recours à la visioconférence pour la consultation du CSE, au-delà de la limitation à 3 réunions par an qui existe aujourd’hui.

Il est certainement utile d’adapter les modalités d’information et consultation des représentants du personnel afin de leur permettre d’exercer effectivement leurs attributions pendant cette crise sanitaire. Il faut néanmoins rester vigilant à ce que ces modalités permettent effectivement d’assurer un contrôle sur les décisions patronales.

La loi prévoit également la suspension des processus électoraux des comités sociaux et économiques en cours. Il semble que ce serait une faculté laissée à l’employeur. Vu les difficultés auxquelles sont confrontées les salariés et les syndicats, il vaut certainement mieux reporter les élections.

Cependant, on espère que la prorogation des mandats des anciens élus sera bien prévue, mais surtout cela pose un problème pour les entreprises qui n’ont pas encore d’élus (franchissement des seuils) et qui constituent surement une grande partie des cas puisque dans beaucoup d’entreprises les mandats viennent de commencer ou sont récents (en raison de l’instauration du CSE qui devait être mis en place au plus tard dans toutes les entreprises au 31 décembre 2019).

      • Formation professionnelle. La loi prévoit d’aménager les dispositions de la sixième partie du code du travail, notamment afin de permettre aux employeurs, aux organismes de formation et aux opérateurs de satisfaire aux obligations légales en matière de qualité et d’enregistrement des certifications et habilitations ainsi que d’adapter les conditions de rémunérations et de versement des cotisations sociales des stagiaires de la formation professionnelle.
      • Assurances chômages. La loi prévoit d’adapter, à titre exceptionnel, les modalités de détermination des durées d’attribution des revenus de remplacement des chômeurs. Le gouvernement envisage de prolonger les droits des demandeurs d’emploi arrivant au bout de leur indemnisation au cours de la période de confinement.
Note DLAJ, Montreuil, le 23 mars 2020.
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