Comment utiliser le droit international ?
Marianne GIRIER
Pôle DLAJ Confédéral
Avec les attaques successives du droit du travail français, la référence et le recours aux normes internationales et européennes s’accroissent et permettent dans plusieurs cas de « limiter la casse ». Alors que ces normes internationales étaient censées matérialiser un standard minimum et donc un socle très éloigné de ce que devrait être notre droit du travail, elles se trouvent être aujourd’hui un « plancher social » qui permet finalement d’amortir la chute du droit du travail en France.
D’après l’article 55 de la Constitution, le droit international prime sur toutes les réglementations françaises. Les normes nationales, légales ou conventionnelles, doivent donc respecter les conventions internationales, le droit européen et le droit de l’Union européenne. Mais affirmer cette primauté ne suffit pas, encore faut-il qu’elle soit effective et différents mécanismes existent afin de s’en assurer. On parle tantôt d’applicabilité du droit international, d’invocabilité devant le juge national, de saisir le niveau international ou européen afin de faire condamner la France, de poser une question préjudicielle… Il s’agit de bien distinguer les outils à notre disposition, leurs procédures et les intervenants concernés.
Lorsque la norme est « d’application directe », ou « d’effet direct », elle crée directement des droits et des obligations, sans besoin de transposition. Elle peut alors être invoquée directement devant le juge national. Le juge national doit éventuellement écarter l’application de la norme nationale contraire. Certaines normes, comme les directives européennes, ne peuvent être invoquées que dans des cas très précis. Les normes internationales et européennes peuvent également servir à interpréter le droit national.
Le droit de l’ONU et de l’OIT
Quel contenu ?
Le droit de l’ONU se compose principalement de deux pactes de 1966, un sur les droits civils et politiques et l’autre sur les droits économiques, sociaux et culturels. De plus, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a intégré l’ONU, avec toutes ses conventions ratifiées par les États et de fait obligatoires. Elles traitent notamment de la liberté d’association, de la liberté syndicale ou encore du droit à la négociation.
Comment le faire respecter ?
Par le juge français directement :
Les conventions de l’OIT sont invocables par le justiciable directement devant le juge français qui en assure le respect.
Concrètement, cela signifie que le juge peut se baser sur un droit garanti par l’OIT, ou des Pactes de l’ONU de 1966, lorsque le droit français ne permet pas de le garantir, voir lui est contraire.
Ainsi par exemple, les juges français – des conseils de prud’hommes à la Cour de cassation – ont pu déclarer le Contrat Nouvelle Embauche contraire à la convention n°158 de l’OIT qui exige un motif de licenciement. Cette position du juge français a participé à l’abrogation de la disposition par le législateur.
Récemment, les conseils de prud’hommes de Troyes, d’Amiens, de Lyon etc. ont jugé que la « barémisation » des indemnités dues en cas de licenciement abusif était contraire à la même convention n°158 qui exige une « indemnité adéquate ». Cette résistance des juges face aux déréglementations législatives du droit du travail français a de grandes chances, à l’instar du CNE, de forcer l’exécutif à reculer (Pour plus de détails, voir commentaire ci-joint des jugements).
Par l’ONU :
Le Comité des droits de l’homme, composé de juristes indépendants au niveau de l’ONU, peut être saisi directement afin de faire notamment respecter les pactes de 1966. Il peut être saisi par un particulier en dernier recours. Les décisions du Comité sont obligatoires du fait de la ratification de la France au protocole l’instituant, mais l’absence de pouvoir de sanction à l’encontre de l’État qui ne les respecterait pas amoindrit toutefois leur force.
Récemment, le Comité a condamné la France dans « l’affaire Baby Loup » pour atteinte à la liberté religieuse dans l’entreprise et au principe de non-discrimination. Il reste donc à attendre de voir dans quelles mesures les juridictions nationales prendront en compte cette décision du Comité des droits de l’homme (voir décision Baby loup ici).
Les conventions du Conseil de l’Europe (CESDH et Charte sociale européenne)
Le Conseil de l’Europe, composé de 47 pays, ne doit pas être confondu avec l’Union européenne. C’est à son niveau qu’ont été édictées la Convention européenne des droits de l’homme et de sauvegarde des libertés fondamentales en 1950 et la Charte sociale européenne en 1961 (et révisée en profondeur en 1996). Le respect de la Convention européenne des droits de l’homme (CESDH) est assuré par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et celui de la Charte sociale européenne par le Comité européen des droits sociaux (CEDS).
La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH)
Quel contenu ?
Peu de dispositions de la Convention portent sur le droit du travail mais elles peuvent largement être invoquées : l’article 11 consacre la liberté syndicale et l’article 14 prohibe les discriminations. L’article 6§1, qui garantit le droit à un procès équitable et à un juge impartial, est également très souvent invoqué.
De plus, la Cour européenne des droits de l’homme interprète certaines dispositions. Ainsi par exemple, de la liberté syndicale elle déduit le droit à la négociation collective et le droit de grève.
Comment la faire respecter ?
Par le juge français directement :
La CESDH est reconnue d’application directe par la Cour de cassation et par le Conseil d’État. Autrement dit, le juge national est tenu d’appliquer les droits consacrés par la Convention et le justiciable peut directement les invoquer devant lui.
Le juge français est apte à rendre une décision au visa d’un article de la CEDH. Il ne faut donc pas hésiter à invoquer devant les articles de la CESDH, ainsi que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, utiles au litige.
Par la CEDH :
La CEDH peut également être saisie afin de déclarer ou non si une norme française ou une décision de justice nationale est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.
Elle peut être saisie par tout citoyen, aux conditions cumulatives :
- d’être personnellement et directement victime et d’avoir subi un préjudice important ;
- que les voies de recours internes aient été épuisées (c’est-à-dire que la Cour de cassation ou le Conseil d’État se soit déjà prononcé).
On ne peut donc envisager de saisir la CEDH qu’au cours d’un litige particulier et seulement comme dernière voie de recours.
La Charte sociale européenne
Quel contenu ?
La Charte sociale européenne consacre un certain nombre de droits sociaux fondamentaux comme le droit de grève – elle est un des rares textes internationaux à le reconnaître –, le droit à l’information et à la consultation, le droit à la protection en cas de licenciement, qu’elle décline à chaque fois de façon assez précise.
Comment la faire respecter ?
Par le juge français directement :
Le Conseil d’État reconnaît l’application directe de certains articles de la Charte sociale européenne, comme l’article 24 sur la protection en cas de licenciement et l’article 5 sur le droit syndical. Il refuse en revanche de la reconnaître pour d’autres, comme pour l’article 2 sur la durée raisonnable. Il est donc possible d’invoquer la Charte social devant le juge administratif français au cas par cas, selon l’article.
La Cour de cassation n’a pas encore quant à elle expressément reconnu son application directe mais elle se réfère régulièrement à la Charte dans ses décisions.
Récemment, des conseils de prud’hommes se sont basés, en plus de la convention n°158 de l’OIT (voir plus haut), sur l’article 24 de la Charte sociale européenne qui a été directement invoqué par des conseils de prud’hommes pour déclarer les barèmes Macron contraires au droit européen (Voir commentaire ci-joint).
Par le CEDS :
Un protocole additionnel en 1995, ratifié par la France, institue une procédure dite de réclamations collectives. Ces réclamations peuvent être transmises par des organisations syndicales ou patronales. Elles sont examinées par le CEDS, comité d’experts indépendants.
Si les décisions du CEDS sont juridiquement obligatoires, elles sont toutefois dépourvues de sanctions.
Ainsi par exemple, le CEDS avait considéré que le dispositif français des forfaits jours des cadres n’était pas conforme à l’article 2 de la Charte sociale européenne qui impose une durée de travail raisonnable. Ces avis ont poussé la Cour de cassation à revoir sa jurisprudence et à ajouter de nouvelles conditions de validité, non prévues par la loi française, en visant expressément la Charte sociale européenne.
Récemment, le CEDS a été saisi par la CGT pour faire déclarer les barèmes de licenciement contraire à l’article 24 de la Charte. Son avis, qu’il rendra prochainement, s’ajoutera alors aux décisions des conseils de prud’hommes allant dans le même sens, et augmentera très certainement la pression exercée sur la Cour de cassation afin qu’elle censure cette mesure, et sur le gouvernement français afin qu’il la supprime.
Le droit de l’Union européenne : les directives
Quel contenu ?
Parmi les différentes sources du droit de l’Union européenne, ce sont les directives européennes qui traitent principalement du droit du travail. On peut citer en exemple la directive sur les licenciements collectifs, les transferts d’entreprise, la discrimination, la santé et sécurité ou encore l’aménagement du temps de travail.
Les directives, présentées comme des outils « d’harmonisation sociale » » entre les États membres de l’Union européenne, se contentent de fixer des résultats à atteindre par les États tout en leur laissant une large marge de manœuvre quant aux moyens à mettre en œuvre. Concrètement, cela signifie que la directive nécessite une transposition dans le droit national et que chaque État dispose d’une certaine liberté dans cette transposition. À ce titre, les directives sont sûrement les normes du droit de l’Union européenne les plus difficiles à appréhender quant à l’effet direct ou non qu’elles produisent dans le droit national (voir plus loin).
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est la juridiction compétente au niveau de l’Union européenne pour faire respecter ces droits. Mais c’est le juge national qui est considéré comme le juge de droit commun de l’UE, c’est-à-dire que c’est lui qui en priorité est censé assurer le respect du droit de l’UE.
Comment le faire respecter ?
Par le juge français directement :
La CJUE considère, du fait de la primauté du droit européen, que tout juge national est chargé d’appliquer le droit de l’UE et a donc l’obligation d’écarter toute norme nationale contraire à celui-ci.
Le principe est que la directive ne produit pas « d’effet direct », c’est-à-dire qu’elle n’est ni applicable ni invocable en l’état par ou devant le juge français. C’est la norme française de transposition de la directive qui créera un droit invocable directement par les particuliers.
Toutefois, il a vite paru contestable de pénaliser les particuliers lorsque l’État n’a pas transposé la directive, c’est-à-dire qu’ils pâtissent de la défaillance de l’État.
Il a donc été reconnu aux directives un effet direct relatif lorsque deux conditions cumulatives sont remplies :
- la disposition de la directive doit être suffisamment claire, précise et inconditionnelle ;
- et le délai de transposition doit être expiré.
Mais attention, cet « effet direct » ne vaut que dans les litiges opposant un particulier à l’État, c’est-à-dire qu’un salarié ne peut pas invoquer directement une directive à l’encontre de son employeur. La justification avancée serait que si une directive peut être invoquée à l’encontre de l’État afin de le sanctionner de son manquement de transposition, un employeur ne saurait être sanctionné pour la violation d’une obligation qui n’existe pas encore à proprement parler dans le droit national. Cette position est critiquable en ce qu’elle prive de fait les salariés de droits qui pourtant auraient dus leur être octroyés.
En résumé, les directives peuvent être invoquées essentiellement lorsque l’employeur est l’État (ex : agents du service public mais aussi salariés de la RATP, de la SNCF, etc.)
Il est également possible pour le salarié de saisir la juridiction administrative afin de faire reconnaître la responsabilité de l’État en cas d’absence de transposition. C’est ainsi que récemment, le tribunal administratif a par exemple retenu la responsabilité de l’État pour non-respect de la directive sur le droit à l’information et à la consultation des travailleurs, en ce que le droit français écarte les salariés en contrats aidés des effectifs (voir commentaires ci-joint. C’était en l’occurrence un contentieux porté par la CGT, FO et Solidaires, et non par un salarié).
Ceci dit, il faut avoir en tête que même dans des litiges dits entre particuliers, c’est-à-dire entre salarié et employeur, les directives peuvent être invoquées de façon détournée devant le juge français. En effet, on dit le juge français se doit d’interpréter le droit national « à la lumière de la directive ». Ainsi, un salarié peut avoir intérêt à citer une directive, même non transposée dans le droit français, pour pousser le juge à cette interprétation.
Par la CJUE : les questions préjudicielles
Les juridictions nationales peuvent interroger la CJUE sur l’interprétation ou la validité du droit de l’UE dans le cadre d’un litige dont elle est saisie. On parle de question préjudicielle.
Attention, ce mécanisme est une originalité du droit de l’UE et n’existe pas pour la CEDH, le CEDS ou l’OIT.
À la différence des autres procédures juridictionnelles, la question préjudicielle n’est pas formulée contre une norme nationale mais elle est posée par un juge national lorsque la résolution d’un litige qui lui est soumis est conditionnée par l’interprétation d’une norme du droit de l’Union européenne.
La question préjudicielle émane du juge français et ne peut se formuler que dans le cadre d’un litige. La procédure nationale est suspendue jusqu’à ce que la CJUE ait statué.
La question préjudicielle consiste à demander à la CJUE d’interpréter une norme du droit de l’Union européenne afin de l’appliquer correctement dans le cadre du litige. La réponse de la CJUE permet de préciser ou d’éclairer le droit de l’Union européenne.
La décision de la CJUE s’impose à la juridiction nationale à l’initiative de la question préjudicielle, mais aussi à toutes les juridictions nationales des États membres qui seront confrontées à une question identique ou similaire.