Premiers jugements des conseils de prud’hommes écartant le barème Macron comme contraire au droit international
Hélène VIART
Pôle DLAJ Confédéral
Depuis les ordonnances Macron, l’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse est encadrée par un barème obligatoire plafonné à 20 mois de salaire, fonction de l’ancienneté du salarié.
La CGT a toujours combattu ce barème injuste et dérisoire, qui permet seulement à l’employeur d’anticiper le « coût » d’un licenciement et de budgétiser le risque contentieux.
La CGT considère également que ce barème est contraire aux textes internationaux ratifiés par la France, et en particulier à :
- l’article 24 de la Charte Sociale Européenne, qui prévoit le droit des « travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate et à une réparation appropriée »,
- l’article 10 de la Convention OIT n°158, qui prévoit le versement « d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié.
En prévoyant un plafonnement de l’indemnisation, qui est donc déconnectée du préjudice réel du salarié, le barème Macron ne permet pas d’octroyer une « réparation adéquate », imposée par les textes internationaux, au salarié injustement licencié.
Or, ces textes internationaux sont directement applicables en droit interne. On dit qu’ils ont un effet direct. Cela signifie qu’un salarié peut les invoquer devant le CPH. Ces dispositions ont également une valeur supérieure à celle de la loi française, et notamment du Code du travail. Cela permet donc au juge d’écarter l’application d’une loi, s’il considère qu’elle est contraire à un traité international.
À ce jour, les décisions écartant l’application des barèmes sont largement plus nombreuses que celles les approuvant. Les CPH de Troyes, Amiens, Grenoble, Lyon et Anger ont jugé que les barèmes étaient contraires au droit international, avec des argumentations parfois différentes
- CPH de Troyes, 13 décembre 2018 : le barème ne permet pas au juge de réparer de manière juste le préjudice subi par le salarié et n’est pas non plus dissuasif pour l’employeur qui souhaiterait licencier sans motif. Il conclut que ce barème « sécurisant davantage les fautifs que les victimes » est « inéquitable » et contraire à la Charte Sociale Européenne et à la Convention OIT n°158. Le CPH a donc accordé 9 mois de salaire à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, là où une application du barème n’aurait permis une indemnisation qu’à hauteur de 4 mois de salaire, soit une différence de plus de 20.000 euros !
- CPH d’Amiens, 19 décembre 2018 : a écarté l’application du barème en se fondant seulement sur sa contrariété à la Convention OIT n°158. En l’espèce, compte tenu de sa faible ancienneté, le salarié ne pouvait prétendre qu’à 0,5 mois de salaire de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui ne constituait pas une réparation appropriée selon le Conseil, qui a donc accordé au salarié la somme de 2.000 euros.
- CPH de Lyon, 21 décembre 2018 : a écarté l’application du barème en ne se fondant cette fois ci que sur l’article 24 de la Charte Sociale Européenne (motivation est très courte tenant en quelques lignes). Les juges ont tout de même accordé 3 mois de salaires à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors qu’ils n’ont retenus qu’un seul jour d’ancienneté au salarié !
- CPH d’Angers, 17 janvier 2019 : comme le jugement précité, le CPH a écarté l’application des barèmes en raison de leur contrariété à la Charte Sociale Européenne uniquement (motivation également très courte). Ce qui est intéressant, c’est que contrairement aux autres décisions, le salarié disposait une d’ancienneté relativement importante (12 ans). Le CPH lui a accordé 1 mois de salaire par année d’ancienneté soit 12 mois de salaire, là où l’application des barèmes ne lui aurait permis d’obtenir qu’une indemnisation comprise entre 3 et 11 mois.
- CPH de Grenoble, 18 janvier 2019 : par une argumentation très détaillée, le CPH a considéré que les barèmes étaient contraires à la Convention OIT n°158 ainsi qu’à la Charte Sociale Européenne en ce qu’ils ne permettaient pas de réparer l’intégralité des préjudices subis par les salariés injustement licenciés, notamment s’ils avaient une faible ancienneté. Le CPH considère aussi que les barèmes sont contraires au droit au procès équitable puisque les pouvoirs du juge sont « drastiquement limités ».
Dans une affaire ne concernant pas les barèmes (le licenciement était intervenu en 2014, donc avant l’entrée en vigueur des ordonnances), le CPH de Lyon a néanmoins invoqué la Convention OIT n°158 et la Charte Sociale Européenne pour rappeler que ces textes imposent une réparation intégrale des préjudices subis par les salariés injustement licenciés. Les barèmes avaient été invoqués par l’avocat de la société pour tenter de minorer l’indemnisation du salarié. L’avocat du salarié avait alors plaidé sur l’inconventionnalité des barèmes, qui a été retenue par le CPH malgré une présidence employeur ! Ce jugement nous montre donc qu’il est possible d’invoquer les textes internationaux et le principe de réparation intégrale du préjudice même quand les barèmes ne sont pas applicables, afin que cela devienne une évidence et un réflexe pour les conseillers et les défenseurs.
Ces jugements sont des immenses victoires pour les salariés injustement licenciés et contre les ordonnances Macron. Il faut donc continuer d’investir les CPH pour multiplier le nombre de décisions et contraindre le gouvernement à abroger le barème inconventionnel.
Voir ici l’argumentaire élaboré par le SAF (syndicat des avocats de France) à reproduire pour démontrer la contrariété du barème aux textes internationaux.
Le combat continue également devant le Comité européen des droits sociaux (CEDS), devant lequel la CGT a une réclamation toujours en cours contre la France relative à ce barème. Compte tenu de la position des CPH et de la condamnation de la Finlande qui avait elle aussi tenté d’imposer un barème d’indemnisation, nous avons bon espoir que notre réclamation soit entendue et que le CEDS confirme une fois pour toute que le barème est contraire à la Charte Sociale Européenne. Si tel est le cas, le Cour de cassation n’aura pas d’autre choix que de confirmer l’inconventionnalité du barème lorsqu’elle sera saisie de la question, ce qui sera un élément de pression supplémentaire à l’encontre le gouvernement pour le contraindre à abroger ce barème injuste.